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Qui ose vaincra

Qui ose vaincra

Titel: Qui ose vaincra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
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ils s’apprêtent
    à encercler toute la région.
    Adrien Lefèvre est âgé
    de soixante-trois ans. Depuis le début de l’occupation, il vient passer l’été à
    Josselin dans une modeste maison mise à sa disposition par des cousins éloignés.
    En compagnie de sa femme, de deux ans sa cadette, il vit dans l’attente des
    communiqués de la radio de Londres ; comme tant de Français, il épingle
    fièrement sur une carte des petits drapeaux qui marquent la progression en
    Normandie des armées alliées.
    Deux fois par jour, il
    se rend au café se repaître des bruits exaltants qui courent de bouche à
    oreille. Sur sa veste de serge usée, il arbore trois larges rubans, la Légion d’honneur,
    la médaille militaire, la croix de guerre 14-18. Sa manche gauche pend le long
    de son flanc. Adrien Lefèvre est manchot, il a perdu son bras à Verdun. Malgré
    son infirmité il se tient droit, il est grand, épais et solide. Des chasseurs
    alpins dans lesquels il servait, il a conservé le large béret qui semble en
    permanence vissé sur sa tête.
    En cette soirée du 22
    juin, Adrien Lefèvre, lieutenant-colonel à la retraite, regagne d’un pas ferme
    son domicile. Une fois encore ses vagues relations de bistrot ont plaisanté sur
    la chasse au « Manchot » déclenchée par les Allemands.
    Railleurs, les buveurs
    lui ont conseillé de ne plus sortir de chez lui.
    Odette, sa femme, a
    préparé une soupe aux choux. Comme tous les jours pairs, il y a sur la table
    une bouteille de vin rouge. Lefèvre en ingurgite une rasade, dédaigne le potage,
    se tient debout devant la fenêtre, contemple d’un œil morne le jour qui baisse
    dans la ruelle. M me Lefèvre ne s’émeut pas. Elle sait que cette
    attitude précède une déclaration solennelle, généralement la critique de la
    tactique employée par tel ou tel général sur le front. M me Lefèvre
    ne comprend rien aux explications de son mari, mais elle écoute et approuve, admirative
    devant tant de science militaire.
    « Odette, après
    quatre années de passivité et d’inaction, ce soir enfin j’ai décidé d’agir.
    — Bien, mon ami »,
    répond sans affliction la brave femme, en servant deux louches de soupe dans l’assiette
    creuse de son mari.
    Le colonel Lefèvre
    hausse les épaules, se lève et se rend brusquement dans la chambre à coucher. Il
    découvre une veste de chasse dont il se vêt, un ceinturon dont il se ceint, et
    dans lequel il passe sa manche morte. D’un geste habituel il se coiffe de son
    béret, choisit une lourde canne de bois grossier, puis, sans ajouter un mot, il
    sort, laissant sa compagne médusée.
    Dans la rue, le colonel
    s’éloigne d’un pas décidé. Il est 19 h 45. Dans quinze minutes ce
    sera le couvre-feu, mais déjà personne ne s’aventure plus à l’extérieur.
    Lefèvre aperçoit la
    patrouille qui vient de déboucher, silencieuse, d’une rue à angle droit. Quatre
    cyclistes. Il se jette dans l’encoignure d’une porte. Le retraité sait qu’il
    risque sa vie et pourtant il n’a pas eu la moindre hésitation. Les gendarmes allemands
    mettent pied à terre, le rejoignent, mitraillette au poing. Alors, droit, altier,
    superbe dans son attitude, Lefèvre laisse tomber sa canne à ses pieds et lève
    son bras valide en signe de reddition.
    Sans baisser leurs armes
    ni relâcher leur attention, les Allemands échangent des regards stupéfaits. Ils
    encadrent le manchot qu’ils dirigent vers les locaux de la Feldgendarmerie.
    Cette ruse puérile qui
    avait germé dans l’esprit d’un homme rongé par l’inaction porte à sourire, même
    si l’on admet le courage qu’il fallut au colonel Lefèvre pour mettre à
    exécution son invraisemblable projet, et pourtant, par recoupement, il semble
    aujourd’hui établi et indiscutable que par son action du 22 juin 1944, Adrien
    Lefèvre, soixante-trois ans, colonel à la retraite, sauva bel et bien la vie du
    commandant Bourgoin.
    Mitraillette dans les
    reins, le vieux soldat est poussé sans ménagement dans le bureau poussiéreux du
    capitaine de la Feldgendarmerie de Josselin. Le capitaine, seul officier du
    détachement, est absent. Il s’est rendu à Rennes, ne sera de retour que dans la
    soirée du 23. La responsabilité du poste est détenue par un sous-officier
    interprète, un lourdaud obtus qui ne doit ses galons qu’à sa parfaite
    connaissance de la langue française. Avant la guerre, il était cultivateur près
    d’Ettenheim, à quelques

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