Qui ose vaincra
Josselin « Achtung » qui l’attend
l’installe dans le bureau du capitaine et lui tend le rapport excessivement
détaillé qu’il a rédigé dans la nuit sur l’arrestation du pseudo Bourgoin. Les
questions et les réponses du bref interrogatoire ont été fidèlement mentionnées.
Fueller, quoiqu’un peu intrigué, félicite le sous-officier pour son action et
le prie de faire monter le colonel Bourgoin.
Lefèvre est introduit. Un
coup d’œil suffit à Fueller pour comprendre la mystification, d’autant que le
vieux colonel est amputé du bras gauche, Bourgoin, du droit. (Il est vrai que
ce détail ne figurait pas au rapport.)
Amer, déçu, Fueller fait
signe au « Manchot » de s’asseoir, et questionne par l’intermédiaire
de l’interprète.
« Qui êtes-vous, monsieur ? »
Lefèvre tente encore de
gagner du temps. Dans un allemand parfait il répond :
« Je suis un
colonel de l’armée française… »
Fueller l’interrompt :
« Cessez ce jeu, monsieur
Bourgoin n’a pas quarante ans, nous le savons parfaitement. »
Lefèvre comprend qu’il
ne peut plus nier.
« Mon nom est
Adrien Lefèvre, colonel à la retraite, en vacances à Josselin avec ma femme. Je
vous prie de noter que dans mes déclarations, je n’ai menti à aucun instant. »
Fueller prend le rapport
du sous-officier, le parcourt à nouveau, ne peut réfréner un pâle sourire.
« Vous n’avez pas
menti, mais vous avez cherché à nous berner, cela revient au même… »
Solennellement, Lefèvre reprend : « Je suis prêt à assumer pleinement
la responsabilité de mon acte, même si, comme je le pense, il me conduit devant
un peloton d’exécution. »
Fueller a un mouvement d’indifférence,
il questionne encore : « Votre bras ?
— Verdun, 1916. »
Fueller hoche la tête, range
amèrement dans sa serviette les papiers qu’il en avait extraits en vue de son
interrogatoire, referme la serviette avec soin, puis une fois encore se
replonge dans la lecture du rapport du sous-officier. Songeur, il regarde le
manchot et, tranquillement, il déchire le rapport en petits morceaux qu’il
chiffonne avant de les jeter dans la corbeille à papiers. Alors il se lève et, sortant
de la pièce, droit malgré sa claudication, il déclare à Lefèvre :
« Rentrez chez vous,
monsieur. Il est tard. Votre femme va s’inquiéter. »
29
11 juillet. Depuis
trente-cinq jours, les parachutistes tiennent le maquis breton au cœur des
divisions ennemies. Les sabotages, les actions de petits groupes se multiplient
chaque nuit. D’héroïques et périlleuses missions sont menées à bien. Chaque
jour, chaque nuit, des hommes tombent. Les S.A.S. sont devenus des loups qui se
terrent dans les bois, mais le bilan de leurs exploits continue à interdire aux
troupes allemandes de Bretagne tout mouvement qui serait susceptible d’enrayer
en Normandie la progression alliée vers l’Est.
Le sinistre quatuor de l’Abwehr
du capitaine Herre est placé en semi-disgrâce. Des quelques parachutistes
tombés entre leurs mains, sauvagement martyrisés souvent des jours entiers
avant leur exécution, aucun n’a parlé. Aucun renseignement n’a même transpiré. La
Gestapo, dont dépendent Herre, Zeller, Munoz et Gross, leur a fait entendre qu’ils
étaient, en raison de leur inefficacité, sur le point d’être mutés dans une
unité combattante du front de l’Est. Et c’est un peu leur dernière carte que
les quatre hommes jouent dans cette soirée du 11 juillet, dirigeant leurs
tractions civiles vers le village de Guéhenno.
Munoz a revêtu l’uniforme
d’un officier S.A.S., celui du lieutenant Gray tombé dans leurs mains l’avant-veille.
Zeller, ex-officier de marine, et Gross peuvent jouer les patriotes. Il a été
convenu que Herre, que son accent allemand risquait de trahir, demeurerait au
volant de la voiture.
Il est 22 heures lorsque
la traction pénètre dans le bourg de Guéhenno. Il y a encore de la lumière dans
le café. Herre continue cent mètres et s’arrête, tous feux éteints. Zeller, qui
est vêtu d’une veste de paysan, d’un gros pull-over à col roulé et d’un
pantalon de velours côtelé, descend. Après un coup d’œil, il pénètre dans le
bistrot. Son apparition fige les occupants. Un silence pesant s’instaure. Il y
a devant le zinc quatre solides gaillards ; derrière, le patron s’est mis
instantanément à essuyer des verres pour se
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