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Qui ose vaincra

Qui ose vaincra

Titel: Qui ose vaincra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
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kilomètres de la frontière alsacienne.
    Dans le chef-lieu de canton
    morbihannais, nombreux sont ceux qui se souviennent encore du sous-officier de
    gendarmerie allemand. Nul ne connut jamais son nom véritable, mais on n’a pas
    oublié le surnom dont on l’avait affublé : « Achtung ! » C’était
    un brave homme et les Josselinais ne se privaient pas, lorsque fréquemment il
    se trouvait entre deux vins, de railler sa naïveté. D’un index menaçant, le
    sous-officier répondait invariablement : « Achtung ! » sur
    un ton qu’il voulait sévère, mais qui n’arrivait qu’à faire redoubler les
    sarcasmes des persifleurs.
    Ce soir-là, l’un des
    cyclistes de la patrouille pénètre précipitamment dans la cantine. En chemise
    et larges bretelles, « Achtung » ingurgite une canette de bière. Le
    cycliste, sur un ton dramatique et solennel, déclare :
    « Nous venons d’arrêter
    le commandant des parachutistes, le Manchot. »
    « Achtung » se
    dresse. Son cerveau est trop simple pour qu’il mette en doute l’affirmation de
    son subordonné. Son premier réflexe est celui d’un soldat : il enfile sa
    vareuse, qu’il boutonne soigneusement, puis il se dirige vers le bureau du
    capitaine. Lorsqu’il y pénètre, Lefèvre est assis, il n’a pas la moindre réaction,
    joue son jeu à la perfection. Une chemise contenant une seule feuille a été
    déposée sur le bureau ; le sous-officier s’assoit et feint de lire
    attentivement le rapport dactylographié qu’il connaît par cœur. Enfin, dans un
    mouvement théâtral, il lève la tête et fixe le prisonnier.
    « Vous êtes le
    colonel Bourgoin, chef des parachutistes terroristes à la solde des Anglais ? »
    Lefèvre pense que son
    cœur va éclater de joie. Il est transporté de fierté, il a réussi.
    « Monsieur, répond-il,
    auguste et révérencieux, vous connaissez les règles et les traditions. En tant
    qu’officier supérieur, je ne suis tenu de répondre qu’à un officier. En
    conséquence, je vous prie de laisser là cet interrogatoire et de prévenir vos
    autorités. »
    C’est au tour d’« Achtung »
    de jubiler. Il pense déjà félicitations, avancement, décorations.
    « Vous avouez donc
    être le colonel Bourgoin ?
    — J’avoue être un
    colonel français, rien d’autre.
    Inutile, je vous le
    répète, de poursuivre cet entretien. » « Achtung » est imprégné
    de son importance. Il se lève, claque les talons et déclare :
    « C’est parfait, colonel.
    Mes hommes vont vous conduire à la cantine. Vous pourrez y recevoir de la
    nourriture pendant que j’avise mes supérieurs. »
    Lefèvre a maintenant
    envie de rire. Il pense qu’il a laissé la soupe aux choux d’Odette et qu’il va
    dîner aux frais de la Feldgendarmerie.
    Plusieurs heureuses
    coïncidences vont encore jouer en faveur du stupéfiant stratagème. D’abord l’hésitation
    du sous-officier qui va attendre un quart d’heure avant de prendre sa première
    décision : tenter de joindre à Rennes son capitaine. Il aurait été simple
    pour lui d’aviser le commandant de la Wehrmacht de Josselin cantonné à quelques
    centaines de mètres. Mais une telle démarche aurait frustré la Feldgendarmerie
    de la gloire à tirer de la capture de l’ennemi public numéro un. À Rennes, le
    capitaine est introuvable. Plusieurs appels sont nécessaires pour s’en assurer.
    « Achtung » appelle alors la gendarmerie de Vannes. Il obtient un
    lieutenant qui, ne connaissant ni le sous-officier ni la fragilité de son
    raisonnement, ne met pas en doute ses affirmations.
    « Nous avons arrêté
    le colonel Bourgoin, le Manchot, affirme « Achtung » avec importance,
    il a avoué son identité. »
    Le lieutenant obtient à
    Pontivy un capitaine. Cet officier de gendarmerie a la première réaction saine :
    il se dégage sur l’infanterie, avise le commandant Fueller de la capture du « Manchot ».
    Le général Fahrmbacher
    est à son tour mis au courant. Sa première réaction est de lever le dispositif
    prévu pour le quadrillage de la région de Serent qui s’avère maintenant sans objet.
    Quand, dans la nuit du 22 au 23 juin, le commandant Bourgoin va parcourir à
    pied plus de quarante kilomètres pour trouver un abri sûr chez des
    sympathisants, il ne rencontrera pas sur sa route le moindre obstacle…
    23 juin. Trois heures du
    matin. Le commandant Fueller, accompagné de trois officiers et d’un lieutenant
    interprète, arrive à la gendarmerie de

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