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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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toujours dans un murmure –, se pouvait-il qu’il fût atteint, en secret, du vice grec  ? Comment expliquer, sinon, qu’il ne pût s’empêcher de songer aux yeux de biche du garçon qui l’avait servi le matin même dans le restaurant du Regina e Gran Canal  ? Qu’il avait rougi comme une vierge effarouchée quand sa main avait effleuré la sienne pendant qu’il versait le café ?
    Ce n’était pas la première fois qu’il éprouvait ce genre de sensation, mais jusqu’alors, il s’était toujours gardé de creuser la question. Et s’il profitait de son séjour à Venise pour aller au fond des choses ? La ville n’était-elle pas depuis des siècles le lieu de tous les petits plaisirs ? Non, il ne se sentait pas le courage. Il ne servait à rien d’approfondir ces réflexions qui le détournaient simplement de son projet initial : trouver la personne appropriée, nouer avec elle une conversation, fixer un rendez-vous, puis se présenter à l’heure au lieu dit – vraisemblablement un hôtel de passe –, monter dans une chambre, payer et…
    Il soupira et ferma les yeux, essayant d’imaginer la suite. La femme se déshabillait-elle en premier ? Ou se déshabillait-on en même temps ? À moins que ce ne fût à lui de la déshabiller ? Allait-il devoir se battre contre une forêt de crochets, de boutons, de lacets ? Est-ce qu’on éteignait la lumière avant de passer à l’action  ? Parlait-on à ce moment-là ? Autant de questions qui demandaient à être résolues avant sa nuit de noces.
    Quand il rouvrit les yeux, il vit la petite troupe près de lui qui se séparait. Les sous-lieutenants croates se dirigeaient vers la piste de danse en compagnie des deux brunes. Le lieutenant impérial semblait avoir reconnu quelqu’un dans la foule, il s’éloignait vers l’entrée en agitant le bras. La blonde resta donc seule au comptoir, à un pas de lui à peine. Comme elle avait le regard rivé sur la coupe à champagne qu’elle venait de poser, il eut tout loisir d’admirer son profil, son front légèrement bombé, son nez droit, sa bouche charnue et son menton légèrement proéminent. Elle n’était presque pas maquillée, juste un peu de rouge à lèvres, un soupçon de fard. Il manquait tous les attributs féminins qui, d’habitude, l’intimidaient d’emblée. Pour une femme dont le métier consistait à retenir autant que possible l’attention de la gent masculine, elle faisait preuve d’une étonnante discrétion.
    Il but une nouvelle gorgée de champagne, puis constata à sa vive surprise que quelque chose en lui le poussait à l’aborder. Ses traits brouillés par l’alcool reprirent l’expression du salonnard. Il jeta un coup d’œil dans le miroir et, satisfait de sa mine, inspira profondément. Alors il lui adressa la parole.

18
    Sans doute aurait-il été satisfait de son physique si cette question l’avait intéressé et s’il avait su ce que cela signifiait, le physique . Il avait des yeux marron au regard fidèle, une poitrine harmonieuse, des dents magnifiques et des membres musculeux. En outre, il jouissait d’une certaine réputation dans le quartier. Ce matin-là, il avait trottiné le long de l’eau en prenant bien soin d’éviter les innombrables flaques. L’été, elles ne le gênaient pas, mais en hiver, il les détestait, surtout à l’aube, où elles étaient particulièrement froides.
    Il émit un grognement maussade. Cet imbécile de rat avait eu de la chance, pensa-t-il. Immobile et la queue pendante, il scrutait le canal d’un air déçu. La surface de l’eau s’était refermée. On ne distinguait plus que de minuscules cercles concentriques à l’endroit où le rat avait disparu. D’un instant à l’autre, celui-ci allait réapparaître – ces bestioles étaient d’excellents nageurs – et remonterait quelque part sur la rive. Mais il n’avait plus envie de le poursuivre.
    C’était un grand rat gris, à la queue rose, qui avait soudain surgi d’une pile de caisses. Dès qu’il l’eut aperçu, il s’était arrêté, avait fait demi-tour et avait tenté de s’enfuir derrière les cageots. Lui avait bondi, les pattes avant tendues, ne parvenant pourtant qu’à toucher son épaule gauche. Le rat s’était retrouvé sur le dos et avait heurté la bitte d’amarrage avec violence. Pourtant, il s’était très vite remis sur ses pattes en couinant et avait sauté dans le canal. La fin d’un rêve.
    Au bruit du plongeon, il

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