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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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discutaient comme sur le marché aux poissons. Ils réclamaient sans cesse toute sorte de suppléments et se fâchaient quand on les leur faisait payer. Les poulets, eux, ne discutaient jamais et n’auraient jamais eu l’idée de réclamer des suppléments. La plupart n’osaient même pas passer à l’acte quand les choses devenaient sérieuses et se contentaient de s’épancher. Ici, il ne faisait aucun doute qu’elle avait affaire à un client de la seconde espèce.
    Ce poulet l’avait frappée parce qu’il était entré juste derrière elle et s’était attardé sur le pas de la porte. Après avoir jeté un regard troublé sur la salle de bal, il s’était dirigé vers le bar d’un pas hésitant et, depuis lors, il se tenait immobile près du comptoir, une coupe à la main. Avec son tricorne en carton noir, il devait se sentir aussi ridicule qu’il l’était, en effet. Certainement, pensa-t-elle, s’agissait-il d’un père de famille sorti de sa province, en train de se demander s’il était à la hauteur. Ce n’était manifestement pas le cas, mais elle pouvait lui prêter main-forte. Et sauf erreur de sa part, il l’en récompenserait grassement.
    Sauf erreur – tout était dans cette restriction. Parce qu’en ce moment la connaissance de la nature humaine se révélait plus que jamais vitale dans leur profession. Certes, elle ignorait les détails du crime commis la veille dans une gondole, mais ce qu’elle en avait appris lui suffisait. Elle n’arrivait pas à croire que le gondolier n’eût rien remarqué. De même, elle avait du mal à imaginer que la victime n’eût rien pressenti du danger qui la menaçait. Elle était en effet persuadée que le mal était entouré d’une aura, d’une odeur délétère. Et qu’un regard droit dans les yeux permettait d’être fixé. Quand le poulet fit volte-face et qu’elle aperçut ses yeux marron respirant l’innocence, elle faillit éclater de rire. Ce n’était pas un poulet, c’était un poussin.
     
    Il avait hélé une gondole à l’Arsenal et, calé contre le dossier rembourré, il se laissait maintenant bercer par le petit grincement de l’aviron. Cette fois, à sa demande, le felze n’était pas fermé par souci de discrétion, mais ouvert sur le côté. L’air chargé d’humidité demeurait assez transparent pour qu’il distinguât les maisons pareilles à des masses noires dans le ciel nocturne couleur d’ardoise. Lorsqu’ils eurent passé le Danieli , comme ils s’approchaient du môle, il constata que la Piazzetta, bordée de becs de gaz, était encore noire de monde. De la musique sortait d’un des cafés de la place Saint-Marc, une valse enjouée qui convenait merveilleusement à son humeur.
    Bien entendu, les cheveux blonds l’avaient d’abord pétrifié. Mais dès qu’il avait aperçu ses yeux verts, un instant plus tard, la bête au fond de lui s’était réveillée, comme sous l’effet d’un seau d’eau froide. Il pouvait parfaitement l’imaginer, se redressant d’un mouvement brusque, les yeux écarquillés, montrant les crocs. Parfois, dans ce genre de situation, il lui arrivait de perdre le contrôle de lui-même, d’ouvrir grand la bouche de manière stupide, de retrousser les lèvres et de pousser un hurlement de mâle en rut. Cette fois encore, cela s’était produit. Par chance, il avait réussi à se rattraper de justesse, faisant semblant de bâiller et couvrant le hurlement d’une quinte de toux. À l’évidence, la jeune femme avait pris cette réaction pour un signe de nervosité ; l’expression de pitié sur son visage s’était encore renforcée.
    Demain soir, donc. Ils s’étaient donné rendez-vous dans une petite pension sur les Zattere, la Seguso . L’après-midi, il irait jeter un coup d’œil sur le bâtiment avant de venir tranquillement prendre un café sur la place Saint-Marc, puis d’aller chercher son matériel – un rasoir, des lanières en cuir et des sels. Ce serait un jeu d’enfant.
    1 - « J’irai vers l’autel de Dieu. » Formule qui précède la montée du prêtre vers l’autel dans le rite tridentin, c’est-à-dire entre le concile de Trente (1570) et la réforme de Pie VI (1970). ( N.d.T. )

17
    Ignaz Zuckerkandl, fabricant de scalpels, s’appuya contre le comptoir en marbre du Mulino rosso et, déjà assez ivre, jeta un regard indolent sur le gigantesque miroir fixé au mur. Dans la salle, l’habituel manège d’officiers, d’étrangers,

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