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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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ne va pas vous mener très loin.
    — Pourquoi dites-vous cela ?
    — Parce que les deux seules personnes répondant à votre description sont M. Sorelli et le père Francesco.
    Le comte replia sa serviette et adressa un sourire à son hôte.
    — Quoique, en toute rigueur, reprit-il, vous dussiez également nous soupçonner, commissaire. Nous aussi sommes rasé de près et avons un accent étranger.
    Tron lui rendit son sourire. Il garda le silence pendant un petit moment, puis lâcha comme en passant :
    — Quelqu’un a vu Sa Majesté hier soir sur la place Saint-Marc.
    Et tiens ! En voilà une qu’il n’attendait pas. Les traits de son visage se crispèrent un instant avant de se lisser de nouveau. Le comte esquissa un sourire forcé. De toute évidence, il jugeait plus malin de ne pas nier son excursion de la veille.
    — Puis-je savoir qui nous a reconnu ?
    — Le baron Spaur, prétendit le commissaire. Il a salué Sa Majesté et s’est étonné de ne pas obtenir de réponse.
    Alors, il poursuivit sur le ton de la plaisanterie :
    — Mais je ne doute pas que Sa Majesté ait un alibi !
    L’héritier du trône consulta du regard son insigne ancêtre, après quoi il se mit à frotter la tache rouge sur sa manchette comme s’il pouvait ainsi éluder la question.
    — Je crains, finit-il par dire, que nous n’ayons pas d’alibi. L’affaire pour laquelle nous sommes sorti hier soir exige la plus grande discrétion. Par conséquent, nous ne pourrons pas vous citer le nom de témoins.
    — Puis-je me permettre de demander à Sa Majesté de quoi il s’agit ?
    — Du destin de la France ! murmura le comte de Chambord. Nous avions un rendez-vous qui ne pouvait avoir lieu ni ici ni dans aucun lieu public. Les agents de Napoléon surveillent chacun de nos pas !
    Sur ce point, songea le commissaire, il avait certainement raison ; il était même probable que les espions autrichiens ne l’observent pas moins. En principe, il aurait dû l’interroger maintenant sur son secrétaire particulier et sur son confesseur. Mais ce qu’il avait appris lui suffisait amplement.
    Tron se leva et inclina le buste. En voyant la mine du comte, il sut qu’il n’était pas venu pour rien. Le maître de maison avait l’air d’un filou qui a vendu un objet sans valeur, un faux lingot d’or par exemple, ou un chiot sans pedigree ; son alibi était si mince qu’on aurait pu lire le journal à travers. Pour autant, pouvait-on le soupçonner de faire le tour des établissements mal famés en quête de blondes aux yeux verts qu’il étranglait et éventrait ensuite ? Non, conclut le commissaire, en aucune façon.

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    Il alla à la fenêtre, écarta légèrement le rideau et suivit du regard le commissaire qui traversa le jardin et prit à droite, en direction du campo San Vidal. Alors il revint vers son fauteuil et s’y laissa tomber avec un profond soupir. On ne pouvait vraiment pas dire qu’il fût satisfait du tour de leur conversation. Le commissaire n’avait fait aucun commentaire, mais il était clair qu’il n’avait pas cru un mot de ses allégations. Le destin de la France , les agents de Napoléon , on se serait cru dans un roman d’Alexandre Dumas ! Sur le coup pourtant, il n’avait rien trouvé de plus convaincant. Et il aurait été absurde de nier son escapade de la veille. Il ne se rappelait certes pas avoir aperçu le commandant de police sur la place Saint-Marc et avoir fait semblant de ne pas le voir, mais, au point où il en était, cela n’avait plus aucune espèce d’importance.
    En tout état de cause, il pouvait s’estimer heureux d’avoir repéré à temps l’homme qui le suivait. Au fil des années, constata-t-il, on développait un étrange sixième sens qui permettait de savoir si la voie était libre ou non. C’était sur la place Saint-Marc qu’il avait deviné sa présence dans son dos, ce qui, au fond, était absurde, puisque, malgré le mauvais temps, il y régnait une surprenante animation. Une fois dans la Frezzeria, derrière la tour de l’Horloge, il avait su qu’on le filait, comme s’il avait eu un troisième œil derrière la tête. À partir de là, il n’avait eu aucun mal à le semer, d’autant qu’il connaissait désormais fort bien les établissements de la vie nocturne. Le Della Guerra n’était pas sa destination initiale, mais il n’était pas très éloigné et il offrait l’avantage de posséder plusieurs issues. Lorsque son poursuivant,

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