Requiem sous le Rialto

phrase s’achevait, à son grand soulagement, son rôle dans ce drame. Dès lors, c’était au commissaire et à son adjoint d’entrer en scène. La dernière chose qu’il vit avant son départ fut les yeux écarquillés de M. Lupi.
    Non vraiment, pensa-t-il en ouvrant son parapluie dans la calle Malvasia, il n’avait pas du tout compris de quoi il retournait. Mais le commissaire l’avait assuré de sa profonde gratitude et, pour l’heure, c’était tout ce qui comptait.
    1 - « Fermé. » ( N.d.T. )

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    Tron sortit la bouteille du seau à champagne, se débattit un instant avec la serviette blanche enroulée autour du goulot, mais réussit néanmoins à se resservir sans renverser une goutte. C’était une vraie performance, eu égard au fait qu’il avait déjà vidé plusieurs coupes. Il replaça la bouteille dans le seau et se réjouit du cliquetis sonore, presque musical, des glaçons. Ce bruit à lui seul, pensa-t-il, avait de quoi griser un homme à l’âme d’artiste. Il tendit son verre au-dessus de la table basse, admira le reflet des chandelles dans le vin pétillant et entonna :
    Finch’han dal vino
    calda la testa 1 …
    Comme la princesse leva les yeux, il s’interrompit et toussota.
    — Détends-toi, Alvise, dit-elle. Tu l’as bien mérité.
    Le sourire de la princesse lui rappelait celui d’une mère qui, le jour de son anniversaire, pardonne une bêtise à son enfant d’ordinaire sage comme une image. Allait-elle bientôt lui reprocher la quantité stupéfiante de sorbet aux fraises qu’il avait engloutie au dessert ? Faire allusion à son modeste salaire de commissaire de police ? Il jeta un regard timide de l’autre côté de la table basse. Non, ce jour-là, elle n’en ferait rien. Elle souriait toujours. Cela tenait au fait que Bossi et lui avaient passé les menottes à Lupi et l’avaient conduit au commissariat où ils l’avaient interrogé pendant tout l’après-midi. Ensuite, ils avaient rédigé un procès-verbal en vue de leur conversation avec le comte de Chambord. Il n’y avait aucune raison de remettre en cause les affirmations du jeune homme puisqu’ils avaient trouvé dans son appartement, entre autres choses, des lettres compromettantes signées de la main du comte. Tron répondit avec modestie, la tête légèrement penchée :
    — Nous avons eu de la chance, voilà tout. Si Alphonse de Sivry n’avait pas eu l’honnêteté de nous prévenir, nous n’aurions pas avancé d’un pas.
    — Quoi qu’il en soit, cette histoire est à dormir debout.
    La princesse prit sa coupe de champagne et en but une gorgée.
    — Il a donc avoué tout de suite ?
    — Nous avions la boîte à priser, le reçu et la déposition de Sivry, remarqua Tron. Nier le vol n’aurait eu aucun sens.
    — Où est-il maintenant ?
    — Au trou. Nous avons rédigé un procès-verbal détaillé.
    — Quel âge ?
    — Dix-neuf ans. C’est un Napolitain. Avec de grands yeux marron foncé. Un joli garçon, mais bête comme ses pieds. Mettre la boîte à priser en dépôt-vente, surtout chez Sivry, était la plus grande ânerie qu’il pouvait faire.
    — Pourquoi a-t-il volé le comte ?
    — Parce qu’il avait besoin d’argent. Et parce qu’il savait que Chambord n’irait pas prévenir la police. Il doute même qu’il se soit déjà aperçu de la disparition.
    — Le comte de Chambord niera peut-être avoir jamais vu cette boîte, suggéra la princesse.
    — Non, il n’en fera rien. Il va écarquiller les yeux et me demander avec étonnement comment elle est parvenue jusqu’à nous. À ce moment-là, je le confronterai aux déclarations de Lupi et lui signalerai que nous avons découvert des lettres compromettantes.
    — Lupi avait-il rendez-vous avec lui jeudi soir ?
    Tron secoua la tête.
    — Non.
    — Donc, dit Maria d’un air songeur, l’homme que l’inspecteur a tenté d’arrêter avant-hier soir pourrait bien être le comte, qui aurait par conséquent deux secrets à cacher.
    Tron afficha une mine sceptique.
    — En principe, tu as raison. La seule certitude de Bossi à son sujet, c’est qu’il avait un menton banal et une bouche ordinaire, tout comme celui d’hier soir. Je n’appelle pas cela un signalement précis.
    — Dans ce cas, emmène l’inspecteur avec toi. Peut-être reconnaîtra-t-il sa voix.
    — Bossi m’accompagne, bien entendu.
    La princesse trempa cette fois les lèvres dans un verre d’eau minérale qu’elle garda à la