Retour à l'Ouest
été passées par
les armes, entre le 4 août et le 2 septembre sous les inculpations ordinaires
de sabotage, trotskisme, intelligence avec l’ennemi. Essayons encore de
comprendre quelque chose à cette affreuse consommation quotidienne de sang
humain, aux explications qu’on nous en donne, à ses graves conséquences
économiques (les seules dont on parle parfois dans la presse soviétique).
Le directeur de l’industrie chimique près le commissariat à
l’Industrie lourde, Rataïtchak, fut exécuté le 1 er février, avec les
accusés du procès Piatakov-Radek. Comme eux, il avait avoué s’être livré au
sabotage et à la trahison. Moins de deux mois plus tard, le 21 avril, la
Pravda
publiait un discours du
président du Conseil des commissaires du peuple, Molotov ,
qui nous apprend que « l’industrie chimique dirigée par Rataïtchak avait, en
1935 et 1936,
dépassé le plan de
production
établi par l’État »… Voilà donc un saboteur qui
produisait mieux et plus que l’État ne lui demandait ! Molotov nous dit
que ce fait n’est pas isolé. Deux dirigeants de l’Ouralwagonstroy – c’est-à-dire
des Ateliers de construction de wagons de l’Oural –, Mariassine et Okoudjava , avaient été également fusillés comme saboteurs.
Nul de ceux qui avaient travaillé avec eux ou sous leurs ordres ne pouvant les
croire coupables, une commission d’enquête gouvernementale fut envoyée (après
la condamnation des deux chefs d’entreprise) dans les Ateliers de l’Oural où
elle ne parvint à déceler aucun sabotage. Le président du Conseil l’accuse, de
ce fait, de « myopie politique ». Il ne saurait mieux reconnaître que
le sabotage n’est, en la circonstance, qu’une thèse politique.
Thèse coûteuse. Depuis dix-huit mois des milliers d’administrateurs
de la production ont été révoqués, emprisonnés, fusillés sous cette inculpation,
en réalité parce qu’ils appartiennent aux générations révolutionnaires et
post-révolutionnaires éliminées en ce moment de la vie publique. Mais on ne
supprime pas impunément la plupart des directeurs d’usines, de fabriques, de
chantiers, de services compétents. Ces hommes avaient mis des années à se
former, à se mettre au courant. De plus, les procès iniques qu’on leur a faits
ont inculqué à leurs successeurs l’horreur des responsabilités, c’est-à-dire de
l’initiative. Et voici que les deux grands quotidiens de Moscou –
Pravda
et
Izvestia
– nous apprennent le 17 septembre que pas une
branche de l’industrie légère n’a accompli son plan pour 1937. Le pourcentage
des malfaçons a augmenté ; les interruptions de travail ont doublé (ce qui
suffirait à nous démontrer la carence d’initiative des nouveaux administrateurs).
Le déficit des tissus de coton, par rapport à la production prévue, s’élèvera
pour l’année à 350 millions de mètres, tandis que les fabriques accumulent des
stocks de matières premières…
Le commissaire du peuple à l’Industrie légère, Lioubimov, vient
d’être révoqué avec tous ses collaborateurs. Beaucoup, n’en doutons pas, sont
en prison. Lioubimov avait eu le courage d’affirmer qu’il n’y avait pas de sabotage
dans ses services… L’incompétence, l’inexpérience, la peur suffisent en effet à
expliquer ces contrecoups de l’élimination brutale des dirigeants des années
antérieures. Et il serait temps de cesser des épurations dont les conséquences
s’avèrent désastreuses. Elles redoublent cependant, pour des raisons étrangères
et même contraires à l’intérêt public.
À la veille de l’hiver – ce dur hiver des Russies avec ses
froids de – 25 à – 30°C – Moscou, une fois de plus, se trouve démunie de
combustibles. 600 écoles n’ont ni bois ni charbon. Quantité d’immeubles sont
dans le même cas. Les réserves sont sensiblement inférieures à celles de l’année
dernière : de 50 % pour la houille. Que faire ? On réunit une
conférence des collaborateurs du Mos-Gor-Top, le Trust des combustibles de
Moscou. Le directeur du Trust, Nogtev, explique que les épurations, dénonciations,
arrestations l’ont privé de son personnel le plus qualifié et ont complètement
désorganisé ses services… Est-ce de sa part courage ou désespoir ? Il ne
peut pas ignorer ce qui l’attend. La
Pravda
du 11 septembre, qui relate toute cette affaire, voit là « une vile
insinuation contre-révolutionnaire », et nous apprend que
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