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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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qui est celle de la
terre, des saisons, des plantes et des animaux. Et nous lui savons un gré
infini de mettre à cette découverte une bonne volonté attentive… Certaines
pages de ce livre lues, je me demandais pourquoi elles m’avaient ému, bien qu’elles
ne continssent pour moi aucune révélation très particulière (ainsi vous émeut
tout à coup un paysage ; et pourtant vous avez déjà contemplé maintes fois
des arbres, la courbe d’une rivière, de beaux nuages, une maison blanche sous
les peupliers…) ; et je m’apercevais que leur chaleur communicative s’expliquait
par une sincérité simple et par la vision directe des choses : ce qu’il
faut pour que le contact d’homme à homme soit bienfaisant. Par contraste, le
Journal
de Rougemont fait mieux
ressortir l’immense insincérité des intellectuels en général et tout ce qu’il y
a de misérablement conventionnel dans leur patrimoine de sentiments et d’idées :
la culture bourgeoise d’aujourd’hui.
    « Ce matin, écrit Rougemont, quelqu’un sonne. Un grand
jeune homme crépu se présente : il est étudiant… Il me parlait de ses
lectures, avec violence, mais sans niaiserie. Et tout à coup à propos de ses
études, il éclate : “Surtout, je ne veux pas tomber dans l’intellectualisme !”.
Je le regarde : c’est un solide gaillard. Il aime le sport : très
bien, qu’il continue. À son âge, j’étais gardien de but dans une équipe de
football. Mais où diable a-t-il ramassé cette platitude du mépris de l’intellectualisme ?
(terme propre à vous dégoûter de toute espèce d’intelligence). Ce n’est pas un
garçon de sa trempe qui inventa le slogan défaitiste :
moins d’idées !
    » Moins d’idées ! Méfions-nous de l’intellectualisme !
Est-ce qu’il y a vraiment lieu de se plaindre de ce que les hommes modernes
aient trop d’idées ? Se plaint-on de ce qu’ils aient trop de sensations ?
On proteste contre le fait de penser, au lieu de protester contre la bêtise ou
la fausseté de certaines idées. Derrière l’abus, c’est l’usage normal qu’on attaque.
Voilà le signe très certain de la décadence d’une élite. Plutôt que de
reconnaître qu’on pense mal, on attaque la pensée en général…
    » [Allons], allons, reprenons-nous ! Pour moi, je
suis bien décidé, dorénavant, à maintenir le droit imprescriptible de tout
homme à secréter le plus d’idées possibles. Surtout si l’on se trouve être par
vocation ce qu’on nomme un intellectuel. Je ne m’en tiendrai pas là. Je
souhaite que les hommes aient tous des masses d’idées, et par-dessus le marché,
qu’elles soient justes et même gênantes pour ceux qui les conçoivent, c’est-à-dire
utiles. Qualité et quantité, voilà ce que j’ose froidement demander. »
    Je reviendrai quelque jour sur la critique, profonde et
injuste, que fait Rougemont du marxisme. La page que je viens de citer a son
prix de vérité et précisément cadre tout à fait avec nos jugements sur la
culture bourgeoise. La « décadence d’une élite », à laquelle Rougemont
vient de faire allusion, est celle des intellectuels formés par les classes
possédantes, attachés à leur service, incapables de s’évader du cercle des
idées bourgeoises et voués dès lors à faire de leurs connaissances et de leur
intelligence un emploi anti-social, je veux dire, contraire au fond au bien
commun. Tant que la bourgeoisie travailla à la conquête du monde en substituant
à des formes désuètes de production un mode nouveau – le mode capitaliste – qui
constituait dans l’histoire un progrès marquant, elle fut libre d’esprit, éprise
des sciences, pénétrée d’une immense confiance en elle-même. Son sentiment de
classe victorieuse et progressiste se traduisit alors par un rationalisme
impitoyable, clair et fécond. Elle avait intérêt à faire la lumière sur toutes
choses. Maintenant que le mode capitaliste de production est de plus en plus
dépassé, que l’intérêt des collectivités exige impérieusement le passage à une
nouvelle forme supérieure d’organisation (à base de propriété collective des
moyens de production), l’intelligence de la bourgeoisie se trouble, refuse de
connaître des réalités pénibles, accepte même que l’on brûle sur les places
publiques les œuvres scientifiques contraires à des intérêts périmés… L’intellectualisme
contre lequel s’insurgent avec raison certains jeunes est un

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