Retour à l'Ouest
fascisme. Des luttes de
tendances peuvent et doivent se poursuivre en son sein, sans mettre en question
l’essentiel qui comprend la démocratie ouvrière et les conquêtes économiques
des masses laborieuses. En ce sens, l’ardeur révolutionnaire de la Catalogne – et
des avant-gardes ouvrières dans le reste du pays – est certainement une force
magnifique, susceptible, malgré ce qu’elle comporte d’instable et de risqué, d’assurer
de durables victoires. La réprimer, même en prétendant mieux faire la guerre
par ce moyen, pourrait être promptement funeste.
D’un livre sur Karl Marx
11-12 septembre 1937
On trouve, dans une lettre de Marx à Lafargue ,
cette petite phrase ailée : « Ce qu’il y a de certain, c’est que moi
je ne suis pas marxiste… » Elle complète harmonieusement dans mon esprit
cette autre, dite ou écrite par Proudhon : « Il y a des gens qui se
disent proudhoniens : ce doit être des imbéciles. » Que nous
enseignent là les deux grands révolutionnaires ? Que la lettre tue l’esprit ;
que la fidélité aux formules d’une pensée, si grande et juste que soit cette
pensée, à une époque et dans des circonstances données, devient, quand les
circonstances ont changé, doctrinarisme verbal et stérile, infidélité à l’esprit
véritable, inintelligence, incapacité. Nul ne le sut mieux que Marx, nul ne
vécut plus loin que lui de tout dogmatisme : et c’est ce qui confère à son
esprit réellement scientifique, à son intransigeance réellement révolutionnaire,
un dynamisme tel qu’un demi-siècle après sa mort sa pensée nous domine, nous entraîne,
nous unit, nous divise, nous éclaire avec une incomparable puissance. « En
Russie ses enseignements sont doctrine d’État ; les pays fascistes veulent
les annihiler ; les billets de banque des territoires soviétiques chinois
portent son effigie ; on a brûlé ses livres en Allemagne ; presque
tous les partis de l’Internationale socialiste, tous les partis communistes
professent le marxisme », écrit fort justement son plus récent biographe, Boris
Nicolaïevsky. Et ce vaste tableau, brossé en quelques lignes, nous montre que
le marxisme subit aujourd’hui la destinée des grandes religions qui furent
toutes les idéologies de grandes révolutions sociales, persécutées d’abord, puis
persécutrices, devenant dogmatiques à leur tour et finissant par se renier en quelque
sorte elles-mêmes. Des apôtres humbles et fervents qui étaient les propagandistes
d’une révolution sociale et morale appelée à bouleverser le monde antique, un
Pape ceint de la tiare, souverain temporel, richissime, sacrant les monarques, patronnant
toutes les puissances établies – on voit la distance et elle est incommensurable.
Sous nos yeux, une autre évolution analogue, et qui a ses inquisiteurs aussi, s’est
accomplie. N’avons-nous pas vu un grand parti révolutionnaire – marxiste – prendre
le pouvoir à la tête des masses laborieuses, prodiguer les sacrifices et les
exemples d’abnégation, s’ouvrir tous les chemins de l’avenir à l’aide d’une
doctrine vivante et virile, puis s’alourdir de ses conquêtes, se bureaucratiser,
désapprendre la pensée socialiste libre, la parole libre, perdre la virilité
des convictions individuelles, bâtir un État totalitaire, y imposer le culte du
chef « génial et solaire », y massacrer hideusement les survivants
des époques héroïques ? Justement parce que cette effroyable expérience
historique se déroule sous nos yeux et parce qu’elle engage le marxisme, il
faut plus que jamais que nous en appelions à Marx, il faut que nous le
retrouvions. Sans lui tout ceci ne serait que cauchemar désespérant, d’ailleurs
inintelligible. Nos adversaires ne manqueront pas d’en tirer cette conclusion
contre le socialisme. Car ils ont fait litière de toute bonne foi ; et l’esprit
scientifique dont Marx fut, avec Darwin, Berthelot, Claude Bernard, Humboldt, l’un
des plus clairs représentants de son siècle, est avant tout bonne foi. Sitôt
que nous revenons à lui, nous nous apercevons que l’explication du drame de la
révolution russe, de la passion et de la mauvaise foi des adversaires du
socialisme, de l’évolution entière de la société moderne, ne nous est fournie
que par sa méthode d’investigation de l’économie et de l’histoire ; et que
la corruption même d’une doctrine marxiste, appauvrie par la pénurie d’hommes
dans
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