Retour à l'Ouest
d’industrialisation, a commencé la
récupération de ses forces et ne mettra que peu d’années à se reconstituer et à
redevenir une puissance active.
Quand elle le redeviendra, la tradition d’octobre-novembre
1917, qui représente un incomparable ensemble d’idées et de réalisations
victorieuses, lui fournira des armes telles qu’aucune autre classe ouvrière du
monde n’en a. La victoire des travailleurs, en novembre 1917, fut en effet
totale – et dans quel immense pays ! Ce ne fut pas, contrariant aux
inventions postérieures d’historiens intéressées, la victoire d’un parti
conduit par un chef quasi-providentiel ; ce fut réellement celle des
masses. Le mérite éclatant du parti bolchevik, conduit non par un ou plusieurs
chefs, au triste sens moderne du mot, mais par une vaillante équipe de
camarades instruits, sincères, libres et dévoués, fut de mettre à l’heure
précise, à la disposition des masses, une volonté consciente et un appareil de
coordination comparable à un système nerveux.
Les paysans se soulèvent ou sont prêts à se soulever dans
les campagnes, d’un bout à l’autre des vastes Russies. L’armée, formée de
millions de paysans que l’on envoie se faire hacher – le plus souvent sans
munitions – sur les fronts de Pologne, des Carpates, de Roumanie, de Turquie, de
Macédoine et de Champagne ne veut plus se battre ; mais grâce à elle, le
peuple est en armes. En huit mois d’expériences politiques pendant lesquels on
a vu se suivre, à peu près impuissants, les ministères de coalition de la
bourgeoisie libérale et des partis ouvriers (bolcheviks exceptés), la classe
ouvrière des villes a pris conscience de la nécessité d’assumer elle-même
toutes les responsabilités pour finir la guerre, faire la réforme agraire, instituer
le contrôle ouvrier de la production et une législation sociale hardie. Cela
signifie, en effet, secouer la tutelle des capitalistes, des propriétaires
fonciers et de la finance étrangère (alliée) qui paralyse tous les cabinets de
coalition.
Dans cette situation instable, l’erreur des mencheviks est
de croire possible la stabilisation d’une démocratie qui eût, paisiblement, sans
interrompre le cours de la production, par le simple jeu de ses institutions, donné
satisfaction aux masses. La précaire démocratie russe de l’automne 1917 n’est
qu’un état d’équilibre instable entre deux dictatures. Si le prolétariat laisse
passer son heure, les généraux ne le manqueront pas. Ils sont embusqués au coin
des bois, dans les états-majors, guettant l’instant d’agir. On l’a bien vu en
septembre, quand Kornilov a tenté son coup de force. Lénine et Trotski ont
raison, qui considèrent, l’un réfugié dans une hutte en Finlande, l’autre à la
tête du Soviet de Petrograd, que « temporiser serait un crime ». Avant
eux, la garnison de Petrograd s’est prononcée dans ce sens, dès juillet. Cronstadt
refuse catégoriquement l’obéissance au gouvernement provisoire. Le 20 septembre,
le Soviet de Tachkent s’est déclaré seul pouvoir légal ; il a fallu se
battre pour rétablir dans la capitale du Turkestan l’ombre d’une autre autorité.
Le 27 septembre le Soviet de Reval (Estonie) décide la prise du pouvoir. Une
semaine avant l’insurrection simultanée des deux capitales, Petrograd et Moscou,
le Soviet et la garnison de Kazan prennent le pouvoir pour leur propre compte. Consultez
la carte : c’est tout le pays qui fermente. Et songez qu’un peu plus d’un
demi-siècle auparavant Proudhon s’évertuait à démontrer « la capacité
politique des classes ouvrières ». Un Empire s’est effondré sur deux
continents, entre la Baltique et le Pacifique ; la bourgeoisie russe se
révèle chaque jour aussi égoïste qu’incapable ; asservie, par surcroît, aux
intérêts de plusieurs bourgeoisies étrangères plus riches qu’elle et plus
accoutumées à la domination ; c’est aux classes non possédantes d’assurer
le salut de la nation ; et parmi elles, la classe ouvrière seule a su
former le parti, les hommes, les consciences, les idées de la révolution
nécessaire. Réussite prodigieuse. Karl Marx avait fait passer en 1848 le
socialisme de l’utopie à la science. Le prolétariat russe le fait passer en 1917
de la théorie à la réalité.
Le témoignage de Walter Citrine *
13-14 novembre 1937
Walter Citrine, secrétaire général des Trades-Unions
anglaises et
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