Retour à l'Ouest
président de la Fédération Syndicale Internationale, deux fois
invité par les Syndicats soviétiques à visiter l’URSS, s’y est rendu en 1925
puis en 1935. De son second voyage, il a rapporté un copieux volume de notes
prises au jour le jour sur toutes choses et plus particulièrement sur celles
qui ont trait à la condition de l’ouvrier :
À la recherche de la vérité en Russie
(aux éditions Pierre
Tisné, Paris). Comment ne pas se souvenir à propos de ce titre de la boutade de
Rémy de Gourmont : « Le terrible, quand on cherche la vérité, c’est
qu’on la trouve… ». C’est sans doute pourquoi tant de gens préfèrent ne la
point chercher et dormir paisiblement sur les oreillers que leur font les
journaux de leur Église ou de leur parti. En ce qui concerne les conditions d’existence
des travailleurs, la vérité n’est jamais difficile à connaître, même en pays
totalitaire, même en pays étranger dont on ignore la langue. Il suffit d’ouvrir
les yeux, de descendre d’auto et de poser avec quelque obstination, sur les
salaires, les prix, les loyers, la capacité d’achat de la monnaie des questions
que les préposés à la propagande nationale peuvent trouver embarrassantes, voire
discourtoises de la part d’un visiteur à qui l’on offre des fleurs et des
banquets. Ces questions, d’ailleurs, ne sont en réalité qu’honnêtes et franches :
car nous n’entendons point que la civilité puisse impliquer des abdications
morales. Laissons à la bourgeoisie la politesse du mensonge.
C’est ce que fit en tous lieux de l’URSS Walter Citrine, auquel
il faut encore rendre une autre justice. Je me sens, pour ma part, fort éloigné
de lui à bien des égards : entre le trade-unionisme britannique et le
marxisme révolutionnaire des Russes qui a formé ma pensée de militant, la marge
est considérable. Mais j’admire sans réserve
l’esprit
prolétarien
du leader syndical anglais, l’attention toujours en
éveil qu’il porte à tous les problèmes de la vie ouvrière, son constant souci
de défendre et de servir le travailleur au milieu des réalités de l’heure, indépendamment
des luttes d’idées, des conjonctures historiques, des raisons profondes
invoquées par les systèmes, – en un mot, son attachement absolu à la classe des
salariés.
Au cours de son grand voyage à travers les centres
industriels de l’URSS, Walter Citrine consigne des impressions précises, équitables
et poignantes. Il constate avec joie la naissance des nouvelles industries. Il
s’entretient avec Tomski, dont il était devenu l’ami, autrefois au cours des
négociations entre les syndicats soviétiques et britanniques, et il enregistre
en souriant – d’un sourire que je conçois tout à fait fraternel – les propos de
Tomski sur les progrès du régime… Quelques mois plus tard, Tomski va se
suicider, désespéré, pour échapper à une pire fin, – mais il était, je n’en
puis douter, passionnément sincère quand il vantait à Citrine l’œuvre accomplie
par ceux-là mêmes qui allaient le pousser perfidement vers la tombe. Telles
sont les impitoyables contradictions de la réalité présente, là-bas. Les
progrès acquis par la révolution des travailleurs s’y mêlent inextricablement –
du moins aux yeux de l’observateur étranger – aux pires survivances du passé et
aux plus inhumaines régressions. L’avenir fera le point. Un grand déblaiement
reste à accomplir, qui sera sans doute l’œuvre de la génération montante.
« L’avenir décidera », conclut Walter Citrine. Je pense, comme le
pensait probablement Tomski, que les travailleurs, demain ou après-demain, décideront
eux-mêmes de l’avenir.
À la fin de son livre, Walter Citrine résume ses
observations sur les salaires. Elles concordent pleinement avec celles que j’ai
faites sur place en dix ans et plus, avec celles de mon ami Yvon qui gravit, en
URSS, tous les échelons du travail, successivement ouvrier, contremaître et
directeur d’entreprise, avec celles d’un Kléber Legay. Dans huit grandes usines
de Leningrad, Moscou, Kharkov, Bakou, le salaire mensuel moyen d’un ouvrier
varie entre 190 et 210 roubles, ce qui correspond à peu près à 60 et 65 francs
français ou belges par semaine, avec une capacité d’achat du rouble sensiblement
égale à celle du franc. « À première vue, écrit Citrine, il est
matériellement impossible à l’ouvrier russe de vivre dans ces conditions.
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