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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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tenu à nous abaisser, à nous rendre
serviles, à nous faire adorer un Chef – nous qui, si volontiers, admirions de
grands camarades ! Nous entendions servir la vérité, elle nous a imposé le
mensonge quotidien, le mensonge à la classe ouvrière, le mensonge à nous-mêmes.
Je crois, au fond, que nous eussions consenti à tout pour servir la révolution
et le socialisme ; nous avons d’ailleurs commencé par là, commencé par
consentir, et il nous a fallu des années pour nous détacher, rompre, quand il
nous est devenu évident que ce n’était plus le service du socialisme… Alors, la
communauté dont nous étions nous a exclus, déshonorés, insultés, vilipendés, traités
d’ennemis de classe, parce que nous restions fidèles à son âme de la veille, tandis
qu’elle-même n’avait plus d’âme, ne vivant plus que sur une fausse monnaie d’idées…
Nous encore, ce n’est rien, puisque nous survivons ! Mais tous ceux qu’on
s’est mis à fusiller, souvent meilleurs serviteurs de la classe ouvrière que
nous, par l’action plus riche, le mérite historique – tous ceux que l’on
supprime pour cette raison même… Et je comprends bien votre cri :
    « Il me semble qu’autour de moi aussi le cercle s’est
refermé. Et plus jamais je ne pourrai tenir pour la mienne cette communauté de
vivants qui tue les meilleurs d’entre ses fils.
» Je m’évade, je fuis, j’ai peur. Est-ce que tout ce qui s’offrit à ma foi, décidément,
s’effondre ?… »
    Mais ici, cher poète, il faut qu’un militant vous réponde. S’évader
– du mensonge, oui. Fuir – fuir la boue de plus en plus mêlée du sang des
meilleurs, oui. Avoir peur – peur du faux, de la souillure, de l’inhumain, oui,
cela est permis. Salutaire même. Seulement, la vie continue, la lutte continue.
La communauté qui s’est trahie n’est plus la nôtre. Il reste de par le monde la
plus vaste communauté des travailleurs en marche. Il reste, là-bas même, dans
les prisons et les camps de concentration, l’intrépide communauté des
résistants. Tout nous reste ! La pensée socialiste sort de ces vingt
années trempée par l’effort des masses et le cauchemar même d’une victoire
transformée en défaite par l’usure intérieure. Les causes du mal, nous les
connaissons. Les remèdes nécessaires, nous les connaissons. Ni s’évader, ni
fuir, ni craindre dès lors ! On a besoin de vous. Les heures sont venues
de la fidélité la plus vraie, puisque tout est à refaire. Puisse votre adieu
aux ténèbres de Thermidor et de Brumaire, cher Plisnier, tremper en vous l’âme
du militant.

Ángel Pestaña
    18-19 décembre 1937
    Ángel Pestaña est mort il y a quelques
jours à Valence. Je l’avais entrevu à Barcelone en 1917 et rencontré en Russie,
en 1920. Barcelone, pendant la guerre… La Catalogne n’était qu’une vaste usine
travaillant pour les Alliés. Le patronat s’enrichissait, les ouvriers s’organisaient.
La Confédération nationale du travail se sentait devenir une force, sous la
direction intelligente de deux hommes : Salvador Seguí ,
Ángel Pestaña. Ouvriers tous les deux (Pestaña était horloger), agitateurs
remarquables, sachant tenir la tribune et tenir le coup quand ça tournait mal. Les
petits syndicats anarchisants, derrière eux, devenaient de vastes organisations
nourrissant une haute ambition révolutionnaire. Pestaña et Seguí furent du
premier Comité obrero – Comité ouvrier – qui fit un jour d’août 1917, placarder
dans la ville en état de siège un programme révolutionnaire inspiré de celui de
la Commune de Paris. Trois mois avant les bolcheviks, la CNT esquissait les
grandes lignes d’une transformation sociale immédiate. Le mouvement fut, comme
il fallait s’y attendre, lâché au tout dernier moment par la petite bourgeoisie
radicale. L’essor de la CNT continua par des grèves étonnantes. Puis s’engagea
entre les anarchistes – qui commirent là, par manque d’intelligence politique, une
erreur catastrophique – et le patronat une lutte atroce. Pressés d’arriver à
des victoires et ne sachant comment, des groupes substituèrent à l’action des
masses les attentats terroristes. Le patronat, soutenu par la police, s’aperçut
bientôt que cette arme pouvait être facilement retournée : il forma ses
organisations de tueurs, auxquelles il donna même un nom : le Syndicat
libre ; il eut ses
pistoleros
,
bien rétribués, assurés de

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