Retour à l'Ouest
que l’on ne peut plus maintenir qu’en le reniant sinon que la conscience
de ses propres bénéficiaires le condamne ?
Au cours des grandes grèves spontanées qui viennent d’attester
le réveil de la classe ouvrière après dix ans et plus de pénible dépression, l’occasion
eût été tout indiquée de poser en droit, du côté du patronat, la question du
caractère sacré de la propriété privée. Plus fort que le vieux droit, le bon
sens empêcha les intéressés de commettre cette inutile sottise. Un droit
nouveau s’est brusquement affirmé pour lequel le travail et le travailleur l’emportent.
La facilité avec laquelle furent votées en France les lois consacrant la
victoire ouvrière [43] ne saurait s’expliquer, de la part de l’opposition réactionnaire, par des
considérations de tactique électorale ; elle témoigne tout au moins d’une
velléité d’abdication. Les représentants et les défenseurs du capital ont senti
leur cause indéfendable. Que faire en pareil cas, sinon céder sur des points
secondaires, même très importants en eux-mêmes, pour garder le principal ?
Ouvrez les livres, les revues, les rapports des instituts
scientifiques : il n’est question que de réformes de structure, de
solutions « révolutionnaires », d’économie dirigée, de corporatisme… Que
de terribles résistances à l’indispensable transformation de la société se
dissimulent dans ces recherches, on s’en doute bien. Ce qui nous importe
aujourd’hui, c’est de constater un besoin de changement né de l’impossibilité d’une
défense sur les positions d’hier. Dans l’esprit même de ses tenants les plus
avantagés, le capitalisme d’avant la guerre, d’avant la crise, d’avant la
révolution, générateur de guerres, de crises et de révolutions, n’est plus défendable.
Il a trop mauvaise conscience depuis vingt-cinq ans…
L’Ancien Régime absolutiste et féodal avait cette mauvaise
conscience quelque temps avant 1789. On voyait des aristocrates, profiteurs de
tous les abus, se complaire aux boutades de Diderot, collectionner les œuvres
de M. de Voltaire, verser des larmes émues en lisant Jean-Jacques… alors
comme aujourd’hui on découvrait tout à coup l’homme, ses besoins, sa souffrance,
l’homme du commun, le grand oublié des sociétés stables et solides qui le font
trimer, vivre et se battre à leur gré. D’obscurs mouvements de masses germaient
cependant du côté du faubourg Saint-Antoine…
Le passé de l’Espagne *
25-26 juillet 1936
Le peuple espagnol vit de grandes journées en ce moment et
il semble bien que ceux qui ont levé la main sur lui vont apprendre qu’à notre
époque de pareils attentats se paient cher. Ce n’est pas au moment où la classe
ouvrière signifie si puissamment son réveil dans les pays voisins que l’Occident
pourrait être assombri par une victoire de coup d’État militaire, – une sorte
de 2 décembre ibérique sans légende napoléonienne. Les généraux marocains se
sont trompés d’époque. Ou la panique leur a fait perdre le sens politique. Tant
pis pour eux, et songeons un moment aux destinées du peuple espagnol.
Il n’en est pas en Europe de plus jeune et de plus civilisé
au sens historique du mot.
L’Espagne fut la première grande puissance moderne. Par la
découverte et la facile conquête des Amériques, elle eut au XVI e siècle
l’Empire le plus vaste. Le soleil ne se couchait jamais sur ses possessions. L’or
du nouveau monde, drainé par les conquistadors, affluait sur ses caravelles
vers la vieille Europe où il venait enrichir les premières banques.
L’Espagne ne devint pas cependant la première puissance
capitaliste. Sa noblesse ne sut que conquérir et dépenser.
Beaucoup plus tard seulement, au XVIII e siècle, au
Paraguay, ses jésuites devaient installer une vaste exploitation coloniale qui
fait penser au capitalisme d’État. L’enrichissement trop facile et l’éclat d’une
civilisation exclusivement aristocratique, plus assoiffée de jouissances que
soucieuse de produire firent aux travailleurs une condition assez particulière ;
peut-être furent-ils un peu moins exploités qu’ailleurs, quelques reflets de la
culture raffinée des maîtres parvinrent jusqu’à eux, mais l’agriculture demeura
très primitive – jusqu’à nos jours, – l’irrigation fut négligée, l’artisanat
végéta plusieurs siècles sur ses traditions du Moyen Âge. Le midi de
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