Retour à l'Ouest
de la
police politique Iejov fut chargé par Staline de l’épurer des éléments
indésirables, environ 80 000 officiers en service actif, dont 20 000
appartenant aux cadres supérieurs – majors, colonels, généraux – étaient d’anciens
combattants de la guerre civile. La réserve comptait également près de 80 000
officiers, avec une proportion beaucoup plus élevée d’anciens combattants de
1918-1921.
Les campagnes de proscription ne prirent une véritable
ampleur, dans l’armée, qu’après l’exécution du maréchal Toukhatchevski et de
ses sept compagnons d’infortune. Les vieux communistes, les partisans des
guérillas de la révolution, les anciens soldats de Toukhatchevski et de Trotski
furent traqués : chassés de l’armée, arrêtés en masses, qu’ils fussent de
l’active ou de la réserve, fusillés en grand nombre. (Impossible de savoir quel
nombre). Erich Wollenberg m’écrit : « Des estimations prudentes me
portent à fixer à 20 000 environ les officiers arrêtés en 1937 ; plusieurs
milliers ont été passés par les armes… ». Dans un article du
Temps
du 21 août, le général Baratier
estime à 30 000 le nombre des officiers rouges victimes de cette terreur.
Ainsi, la proscription a ravi à l’Armée soviétique, 25 %, le
quart, au moins de ses cadres ! Perdues ou victorieuses, les guerres n’ont
jamais coûté aussi cher, jusqu’ici, au commandement des armées belligérantes. Le
commandement supérieur de l’armée et de la flotte a été entièrement détruit, c’est-à-dire
entièrement fusillé : Blücher, Fedko, Vorochilov, Boudienny survivent
seuls, les deux derniers passant du reste pour de non-valeurs. Toukhatchevski, Iakir,
Ouborévitch, Alksnis, Poutna, l’amiral Orlov, Primakov, Mouklévitch formaient
le cerveau et la tradition vivante de l’armée née des victoires
révolutionnaires : ils ne sont plus.
Au-dessous du commandement suprême ainsi anéanti, le
commandement supérieur, chefs d’armées et généraux, a été détruit et renouvelé
– par l’avancement donné à des jeunes sans passé ni instruction solide – dans
la mesure des deux tiers environ. La révolution prolétarienne, que la guerre
civile rendit par moment tellement impitoyable envers les anciennes classes
dirigeantes, n’infligea pas de pertes comparables aux chefs de l’armée du tsar.
Et elle fit sagement, car les Broussilov, les Kamenev et les Novikov, hommes de
guerre formés au service du tsar, lui furent, à certains jours, grandement
utiles.
La proscription atteignit les cadres subalternes, dont le
contact avec la troupe est immédiat. La presse soviétique a constaté elle-même
que des bataillons sont souvent confiés à des lieutenants fraîchement promus. En
juin dernier, Vorochilov, commissaire du peuple à la guerre, pour remédier à la
pénurie d’officiers subalternes, promouvait d’un seul décret, au grade de
lieutenant, 10 000 élèves des écoles militaires. En février dernier, une
mesure d’amnistie, tenue secrète, avait rendu à l’armée un certain nombre d’officiers
condamnés comme suspects. Mais l’amnistie ne diminuant les peines que de trois
ans, les officiers supérieurs, condamnés de coutume (quand ils ne sont pas
fusillés), à des peines variant entre 10 et 25 années de réclusion ou de
travaux forcés, sont restés les uns en cellule, les autres derrière les
barbelés des camps de concentration.
Wollenberg m’écrit : « Des écoles militaires ont
dû être fermées, les trois quart du personnel enseignant ayant été arrêtés et
mis hors-la-loi… »
N’essayons pas de concevoir l’effet moral et psychologique
de ces mesures prises tout à coup, pour des raisons de politique sociale
intelligibles à ceux-là seuls qui en décident au sommet de la dictature, contre
les hommes les plus connus, les plus respectés, les plus instruits de l’Armée
Rouge. S’ils avaient péché, ç’avait été surtout par un patriotisme borné et
plein d’assurance qui les rendait aveugles à trop de choses… Ils avaient
accepté, encouragé même, les transformations qui, en dix années de luttes
obscures au sein du parti, ont conduit l’URSS à son régime présent.
En Asie comme en Europe, les ennemis de l’URSS savent tout
cela. N’en doutons pas : ils sont beaucoup mieux informés que les
travailleurs et les guides du mouvement ouvrier… Et les données qu’ils
possèdent sont certainement entrées en ligne
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