Retour à l'Ouest
leur
appellation : ils formeront la VIII e armée régulière… Il y
aurait beaucoup à dire sur les dessous de tout ceci.
Épurations *
10-11 septembre 1938
On s’est tellement accoutumé à voir disparaître les
personnages les plus hauts placés de l’URSS que c’est à peine si la presse
étrangère prend la peine de noter, de temps à autre, quelques éliminations plus
ou moins saisissantes. La presse soviétique n’en informe pas son public. Elle
se borne à donner de brefs communiqués sur la nomination de nouveaux ministres,
commandants d’armées, amiraux ou diplomates, sans préciser ce que sont devenus
leurs prédécesseurs. Personne ne hasarde, cela va de soi, la moindre question :
et tout le monde est fixé. Quand se réunit le Conseil Suprême, que l’on a
présenté quelquefois comme constituant une sorte de parlement soviétique – et
dont les membres élus sont constitutionnellement inviolables… – les
observateurs avertis notent les absences inexpliquées… C’est tout. Parmi les
absences les plus remarquées, dernièrement, il faut signaler celle de la veuve
de Lénine, Nadiejda Konstantinovna Kroupskaïa.
D’alarmantes rumeurs ont circulé à son propos dans les
milieux informés de l’étranger. Nadiéjda Kroupskaïa aurait été arrêtée et
discrètement enfermée dans un sanatorium surveillé. Le fait est que son nom n’a
plus été mentionné nulle part depuis plusieurs mois, ce qui est toujours de
fort mauvais augure. Attachée au commissariat de l’instruction publique, elle
était la dirigeante la plus écoutée, à coup sûr et à juste titre, de la
pédagogie soviétique. Or, le commissaire du peuple à l’instruction publique, Boubnov,
un vieux militant bolchevik, avec lequel Kroupskaïa collabora étroitement
depuis la mort de Lounatcharski, est en prison et l’on n’a pas manqué de l’accuser
d’incapacité, de négligence, voire de sabotage… Les prétextes surabondent :
l’enseignement en état de perpétuelle réorganisation manque de ressources et, plus
encore, manque d’hommes depuis que les épurations aussi incessantes que sanglantes
ont décimé ses jeunes cadres.
À d’autres titres Nadiejda Kroupskaïa est devenue plus qu’indésirable,
suspecte et vraisemblablement intolérable dans les nouvelles sphères
dirigeantes. Elle a soixante-huit ans et près de cinquante-cinq ans d’activité
socialiste militante derrière elle. Elle rencontra Lénine dans les premiers
groupements socialistes de Saint-Pétersbourg, vers 1894-1895. L’année suivante,
à la suite d’une grève, Kroupskaïa était jetée en prison pour six mois. À sa
libération, déportée en Sibérie centrale, elle se marie là avec le jeune Oulianov-Lénine,
déporté comme elle. Elle allait être à la fois la compagne de sa vie et sa
collaboratrice la plus précieuse dans l’œuvre d’édification du parti qu’il
poursuivit à partir de 1901, réfugié à Munich, à Londres, en Suisse, à Paris, à
Cracovie, de nouveau en Suisse. Organisatrice inlassable et ponctuelle, Kroupskaïa
tint longtemps entre ses mains les fils de l’action clandestine en Russie. À ce
titre, elle connut de près la plupart des fondateurs du parti, les Zinoniev, Kamenev,
Ivan Smirnov, Krestzinski, Sérébriakov, Mdivani, Enoukidzé, tous fusillés
aujourd’hui. Zinoniev, plus particulièrement, fut pour Lénine et Kroupskaïa un
collaborateur de tous les jours, à partir de 1907. D’esprit généreux et
tolérant, Nadiejda Kroupskaïa, tout au début du stalinisme, se joignit à l’opposition
pour réclamer d’autres mœurs dans le parti, le droit de s’exprimer librement, plus
de fraternité, plus de probité… On fit alors (c’était en 1926 ou 1927) pression
sur elle pour qu’elle consentît à demeurer en dehors des luttes intestines du
parti, au nom de l’intérêt supérieur, qui commandait de n’y point mêler l’ombre
de Lénine. Kroupskaïa céda. Des années infiniment cruelles l’attendaient. Elle
allait assister impuissante au déchirement puis à la destruction du parti, ravagée
elle-même par la douleur, l’indignation et la crainte de compromettre, en
intervenant, la mémoire du grand mort. Il semble bien qu’elle tenta d’obtenir
la grâce de Zinoniev, Kamenev, Ivan Smirnov. Mais que pouvait, désormais, une
vieille femme qui n’avait pour elle que le passé ? On ne l’écouta pas, on
exigea même qu’elle signât un affreux papier rituel approuvant les
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