Retour à l'Ouest
appartint à l’Allemagne, défavorisée dans le
domaine colonial.
C’est de cela qu’il s’agit de nouveau. Acquise sans guerre, par
le seul chantage à la guerre, infiniment plus avantageux que la guerre
elle-même, ou payée d’un certain prix de sang, la soumission de la
Tchécoslovaquie à l’Allemagne faciliterait à celle-ci l’accès des blés de
Hongrie et du pétrole de Roumanie. En accroissant la puissance du Reich, elle
lui permettrait de poser la question des colonies et zones d’influence, c’est-à-dire,
encore une fois, du partage du monde.
J’ai trouvé dans la presse anglaise la remarque suivante, qui
explique l’attitude des puissances : l’Allemagne, si elle a tout à
craindre d’une défaite, aurait beaucoup à attendre d’une victoire, même
partielle ; tandis que ses adversaires n’ont rien à attendre d’une
victoire, même totale : ils n’auraient rien à prendre aux vaincus. La
guerre victorieuse se traduirait pour eux par une perte sèche, sans
compensation aucune. L’Allemagne, par contre, pourrait être tentée d’accepter
le risque pour tenter la chance. Le plus grave pour elle, c’est dès lors l’énormité
du risque, en comparaison avec une chance extrêmement aléatoire, dans une
guerre générale ; sensiblement plus réelle dans un conflit localisé…
Tout porte donc à croire que le chef du nouvel impérialisme
ira dans la voie de la guerre aussi loin que possible, sans toutefois faire la
guerre, afin de tirer le maximum de profits de la constante menace d’une
catastrophe qu’il lui appartient de déclencher ou de ne pas déclencher. Nous entrons
peut-être dans une longue phase de marchandages armés, hypocrites et
occasionnellement sanglants, pour la révision ultime du partage du monde qui se
fit à Versailles en 1919. La question des Sudètes n’est, pour Hitler, que l’occasion
d’une mobilisation quasi-générale appelée à lui permettre de poser en fait d’autres
questions. Tant que le monde n’aura pas trouvé un nouvel équilibre, il est fort
possible que nous n’ayons, des années durant, ni paix ni guerre : une paix
aussi anxieuse, aussi coûteuse, aussi dangereuse qu’une guerre ; une sorte
de guerre sournoise dans laquelle les canons, s’ils tireront le moins possible,
demeureront sans cesse braqués sur les poitrines des peuples ; une paix
précaire et surarmée pendant laquelle les nations côtoieront chaque jour, chaque
nuit l’abîme. On négociera cependant, à la faveur d’indicibles menaces, tandis
que des deux côtés des frontières des millions de civilisés creuseront des
fortifications à six étages souterrains. Le vieux capitalisme européen
dépensera de la sorte les richesses qu’il n’a pas voulu consacrer à créer un
ordre plus équitable entre les nations, comme au sein des nations. Le manque
des ressources matérielles mettra fin quelque jour, à une échéance qui ne
saurait être éloignée, à ce gaspillage insensé des forces humaines. Les crises
sociales auront mûri dans un monde en état de siège ; sans doute la
conscience des peuples interviendra-t-elle sous des formes encore imprévisibles,
pour imposer ses solutions. Si imminente qu’elle paraisse, la guerre n’est ni
fatale ni nécessaire ; mais la crise du monde moderne s’ouvre par la
double impossibilité de faire la paix sans transformer la société et de faire
la guerre sans courir au suicide.
L’épuration de l’Armée Rouge *
24-25 septembre 1938
Les historiens mesureront un jour de quel poids la crise
russe a pesé ces temps derniers sur les destinées du monde occidental. Je veux
aujourd’hui produire ici quelques données sur ses répercussions dans l’Armée
Rouge, qui demeure un des facteurs décisifs du rapport des forces en Europe et
en Asie. L’auteur d’une remarquable histoire de l’Armée Rouge, parue à Londres
(
The Red Army
, chez Martin Secker
and Warburg [255] ), Erich Wollenberg , qui fut officier allemand, militant
de l’Internationale Communiste, officier soviétique, a bien voulu me
communiquer quelques-unes de ses notes sur ce sujet. Il va de soi que sa
documentation est de source officielle et qu’en socialiste scrupuleux il s’interdirait
– comme moi-même – de publier des faits qui ne seraient pas connus, dès
auparavant, des milieux compétents de l’étranger, c’est-à-dire tombés dans le
domaine public des spécialistes.
L’Armée Rouge comptait en 1937, au moment où le chef
Weitere Kostenlose Bücher