Retour à l'Ouest
entend
enfin la voix du citoyen Du Pont de Nemours déclarer
posément :
« Il est évident que les propriétaires, sans le
consentement desquels personne ne pourrait ni loger ni manger dans le pays, en
sont les citoyens par excellence. Ils sont souverains par la grâce de Dieu, de
la nature, de leur travail, de leurs avances, des travaux et des avances de
leurs ancêtres. [322] »
La bourgeoisie a confisqué à son profit le droit divin. La
révolution est bien finie.
Le double jeu de Staline
25 août 1939
Quel Molière de l’avenir recherchant le bouffon dans l’épais
tragique du temps présent saura mettre en valeur de tels épisodes de la vie
diplomatique des grandes puissances ? Litvinov , commissaire
du peuple aux Affaires étrangères, gros personnage de la Société des Nations, sort
de son cabinet : il vient de transmettre des messages de la plus haute
importance, annonçant des négociations entre l’Empire britannique, capitaliste,
conservateur et démocrate, et l’URSS officiellement anticapitaliste, anti-impérialiste,
totalitaire [323] ;
Litvinov sort tout souriant de son cabinet et disparaît comme dans une trappe. Englouti.
Escamoté. Envolé. Fini. Est-il mort, Litvinov, est-il vivant ?
Après tout, qui s’en soucie ? On en a vu bien d’autres.
La négociation reprend de plus belle. Commencée au début de mai, elle n’est pas
finie en cette orageuse fin d’août et on ne peut vraiment pas savoir où elle va.
Des correspondants initiés, accrédités à Moscou, en ont décrit le cérémonial. Deux
ambassadeurs se rendent le matin au Kremlin. Molotov, président du Conseil des
commissaires du peuple, successeur en cette qualité du fusillé Alexis Rykov, commissaire
aux Affaires étrangères par surcroît, les reçoit dans son cabinet. Il ne parle
que le russe. Il le parle le moins possible. Il écoute attentivement les
dernières propositions de Londres-Paris qu’un interprète lui traduit : puis
il dit les trente ou les trois cents mots délibérés la veille au Bureau
politique, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher. Au revoir, chers messieurs,
à vendredi. Les agences annoncent que tout va bien, très bien, que l’on
approche d’une solution. Pendant ce temps, dans un autre cabinet du Kremlin, Molotov
reçoit M. von Papen , chargé de mission extraordinaire
par M. Hitler…
Des missions militaires britanniques et françaises
débarquent à Leningrad ; on les prie de se mettre en grand uniforme pour
impressionner davantage les populations. On les promène à Moscou, d’exposition
agricole [en] parc de la culture. On les réunit autour d’un tapis vert. Les
officiers français se souviennent peut-être de Toukhatchevski qu’ils ont reçu à
Paris ; les Britanniques de Putna qu’ils ont reçu à
Londres… Les uns et les autres, en serrant la main du chef de l’aviation
Loktionov, se souviennent peut-être de la poignée de main de son prédécesseur Alksinis … Cela fait beaucoup de fantômes autour d’un tapis
vert, mêlés à des uniformes tout de même fort dissemblables. Si tous ces
fusillés ont trahi, quelle garantie morale offrent ces fusilleurs chamarrés ?
N’importe, les conversations s’engagent, avec circonspection, vous pensez bien.
Constituons contre l’Allemagne nazie le front de la paix !
Un matin, à leur lever, par des dépêches d’agences, les
négociateurs militaires, anglais et français, apprennent que le front de la
paix, l’URSS et l’Allemagne l’ont constitué dans l’entre-temps, dans le cabinet
voisin où délibéraient plus secrètement, reçus sans uniforme ceux-là, des
experts envoyés par Hitler et d’autres généraux staliniens…
La surprise provoquée, au milieu des négociations de Moscou,
par l’annonce du pacte de non-agression germano-soviétique est grande parce qu’on
n’a point voulu voir cette évidence, que l’URSS ne peut, dans la crise présente
de l’Europe, que jouer son propre jeu ; que le régime stalinien, plus
totalitaire et aussi dur que les régimes fascistes, ne se soucie nullement du
statut des démocraties dans le monde – lui qui refuse toute démocratie aux
travailleurs soviétiques – et pourrait, au contraire, trouver intérêt à des
guerres qui, ravageant l’Occident, feraient un jour de la puissance russe l’arbitre
du monde.
J’écrivais ici même (
La
Wallonie
13-14 mai 1939), à propos du renvoi de Litvinov, les
lignes suivantes, que je me permets de
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