Retour à l'Ouest
reproduire pour que le lecteur de ce
journal convienne qu’il est possible, avec un peu d’information et de bon sens,
de prévoir ce que trop de gens se complaisent à ignorer : « Deux
constatations s’imposent pour l’heure : que l’aggravation du conflit entre
l’Axe et le bloc anglo-français détourne de l’URSS la menace germanique ; que
la garantie donnée par la France et la Grande-Bretagne à la Pologne et à la
Roumanie couvre en fait les frontières soviétiques contre une invasion
allemande… Et voici Staline en position privilégiée, à même de marchander sa
sympathie et de garder tant qu’il lui conviendra une neutralité avantageuse. »
Je rappelais dans le même article les lourdes allusions de
Staline, parlant en mars, au congrès de son parti, des menées des « journalistes
franco-anglais » qui s’efforcèrent « d’exciter la fureur de l’URSS
contre l’Allemagne » (
sic
).
Je rappelais sa menace à peine voilée à l’adresse de Londres et de Paris :
« Jeu dangereux qui peut se terminer pour les États démocratiques par un
échec sérieux. » Je citais enfin ses directives formelles, adoptées – cela
va de soi – à l’unanimité – vous n’en doutez pas ? – par le XVIII e congrès du PC de l’URSS : « Se montrer prudents et ne pas laisser les
provocateurs de guerre, accoutumés à se faire tirer les marrons du feu par
autrui, entraîner notre pays dans un conflit… Continuer la politique de paix et
d’affermissement des relations d’affaires avec tous les pays… »
« Soulignons, écrivais-je, avec
tous
les pays. Donc, si les pays
agresseurs veulent acheter du pétrole soviétique, le leur vendre. »
En tout ceci, la fourberie personnelle du dictateur, qui, pour
assurer son pouvoir, a lentement traîné puis perpétré, en prodiguant le plus
infâme mensonge, l’assassinat de tous les compagnons de sa jeunesse, l’extermination
de la plus belle et généreuse génération révolutionnaire que l’histoire
connaisse, la fourberie personnelle de l’homme de sang ne fait qu’ajouter un
trait d’énorme duplicité au double jeu de la caste bureaucratique. Celle-ci ne
songe qu’à sa propre sécurité. Craignant la guerre parce qu’elle a tout un
immense peuple de travailleurs contre elle, son souci principal est de
détourner la catastrophe vers d’autres horizons et de l’y fixer comme on l’a vu
en Chine et en Espagne. Que coûteront finalement à l’humanité toutes ces
sinistres comédies ?
Que l’on se garde pourtant d’en rendre responsable la grande
révolution socialiste des Russies – qui avait aboli la diplomatie secrète !
–, ces louches manœuvriers de la pire diplomatie secrète l’ont fusillée en une
dizaine d’années. Que l’on se garde d’en rendre responsable les travailleurs
soviétiques : nul ne les consulte et le jour où ils prendront la parole
bien des choses changeront d’un seul coup dans le monde.
Le drame de Raskolnikov
6 septembre 1939
Ce drame, je l’exposais ici-même il y a quelques semaines
dans
La Wallonie
des 5-6 août ;
je résumais la biographie de l’ex-ambassadeur de l’URSS à Sofia : valeureux
soldat de la révolution, bon écrivain dramaturge, diplomate et, par-dessus tout,
toujours, révolutionnaire marxiste, homme du parti, fidèle au parti communiste
russe sous Lénine d’abord, sous Staline ensuite, jusqu’au moment où tous ses
compagnons de lutte et de travail ayant été perfidement assassinés de diverses
façons, il se trouva lui-même devant le piège et la mort : entre les mains
un ordre de repasser la frontière soviétique pour, après tant de services, aller
chercher une mort inique. Je soulignais l’étrange faiblesse de la protestation
par laquelle ce militant énergique répondait à sa mise hors la loi publiée à
Moscou. Je lui demandais, espérant bien que mon papier tomberait sous ses yeux,
de soulager sa conscience pour servir encore le socialisme. Vers le même moment,
un mien ami dont le destin fut analogue, lui adressait dans le privé, la même
invite. Raskolnikov répondit en lui envoyant un long message politique qui sera
publié.
Raskolnikov ne fut jamais d’aucune opposition : il n’entendait
que servir, il préférait servir aveuglément plutôt que de risquer d’élever
contre la direction du parti une parole sacrilège. Je connais trop bien ce
dévouement absolu, aboutissant à une abdication de la personnalité, de
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