Retour à l'Ouest
drame finlandais *
19 décembre 1939
Jusqu’au tout dernier moment, nous avons tenu le compromis
entre Helsinki et Moscou pour possible et même probable. Grosse de conséquences,
la conquête, forcément très sanglante, de la petite république scandinave par l’armée
stalinienne, présente pour l’URSS tant de difficultés et d’inconvénients que
nous pensions les fusilleurs du Kremlin assez sages pour rechercher d’autres
solutions. Il est certain, en effet, que se sachant voués à un régime de
terreur, les Finlandais résisteront désespérément et n’abandonneront, pour
émigrer en masse vers la Suède et la Norvège, qu’un territoire dévasté. La
bourgeoisie finlandaise sait que la répression de 1918 fournirait contre elle
le prétexte à des proscriptions sans fin ; les travailleurs, très attachés
à leurs libertés, socialistes en grande majorité, connaissent par suite du
voisinage du pays avec les camps de concentration du nord de la Russie, le
régime intérieur de l’URSS et ne l’accepteront pas. Le standard de vie du
peuple finlandais étant beaucoup plus élevé que celui du peuple russe, le
conquérant devra, s’il réussit à occuper la Finlande, lui imposer un
nivellement à un niveau très bas. Par elle-même enfin, la conquête n’est pas
facile. La Finlande tout entière est une sorte de forteresse naturelle, bien
armée au surplus. Pour l’attaquer, les Russes ne disposent que de trois voies
ferrées, dont une seule de grand ravitaillement, la ligne Moscou-Léningrad. Une
campagne d’hiver dans l’extrême nord serait pour eux une dure épreuve, elle
aggraverait encore les difficultés constantes du ravitaillement des grands
centres.
On se bat pourtant dans la nuit polaire. Des parachutistes d’une
armée qui arbore encore les drapeaux rouges descendent en Laponie, faisant fuir
devant eux les paisibles éleveurs de rennes… Une aviatrice carbonisée a été
trouvée dans les débris d’un avion de bombardement soviétique qui a massacré
des pauvres gens à Helsinki. Admirons l’égalité de l’homme et de la femme, réalisée
sous le chef des peuples, dans l’aviation destructrice des villes… Un gouvernement
Kuusinen s’est formé à Térioki, dans un village frontière déserté par ses
quelques habitants. Ici, la farce sanglante atteint à la plus énorme
bouffonnerie.
Nous avons connu autrefois Otto Kuusinen, réfugié depuis
plus de vingt ans à Moscou, secrétaire du Comité exécutif de l’Internationale
communiste, bureaucrate à tout faire qui servit longtemps Zinoviev, puis approuva l’exécution de Zinoniev ; servit
longtemps Boukharine, puis approuva l’exécution de Boukharine ; collabora
longtemps avec Béla Kun puis approuva la suppression de Béla Kun ; assista,
toujours approuvant, toujours bien pensant, aux exécutions et aux disparitions
de ses propres camardes réfugiés finlandais ; ne survécut, en un mot, que
par la grâce du Guépéou dont il a la confiance (peut-être pour peu de temps encore…).
La nomination de ce servile personnage à la tête d’un
gouvernement populaire créé dans les officines de Moscou signifie évidemment l’intention
délibérée d’aller jusqu’à la conquête totale, à travers les ruines et les
amoncellements de cadavres. Pourquoi ?
On n’entrevoit à ce pourquoi qu’une réponse raisonnable. Les
positions stratégiques que la Finlande possède, vis-à-vis de l’URSS, ne
seraient à craindre pour celle-ci que si une grande puissance venait à s’en
emparer. Quelle grande puissance l’URSS pourrait-elle craindre dans la Baltique,
surtout maintenant qu’elle a créé des bases militaires dans les États baltes ?
Une seule, l’Allemagne, qu’elle vient d’évincer brutalement de l’Estonie, de la
Lettonie, de la Lituanie. Nous voici amenés à conclure que l’URSS craint un changement
d’attitude du III e Reich qui, renonçant à vaincre la France et l’Angleterre,
pourrait se retourner vers l’Est. Jusqu’ici, en effet, Hitler ne s’est attaqué
qu’aux faibles ; quelle que soit la force de l’URSS, elle est certainement,
pour l’Allemagne, beaucoup plus vulnérable que les deux grandes puissances
occidentales. Il s’agit donc, pour Staline, de prendre, coûte que coûte, des
précautions stratégiques décisives contre un revirement possible de son
partenaire Hitler. Les deux fourbes se méfient l’un de l’autre, avec raison. À
n’en pas douter, on travaille
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