Retour à l'Ouest
permettaient à peine de manier les appareils…
Byrd, au terme du voyage sans pareil, put louer chez tous
ses compagnons une vaillance sans défaut. Et très supérieurs, ces hommes, aux
marins de Christophe Colomb, qui se mutinaient contre le Génois, très
supérieurs aux conquistadors qui rêvaient d’enrichissements… Ces américains d’aujourd’hui
ont, devant le risque total, une autre tenue morale, un autre désintéressement,
de même qu’ils ont une organisation, une science, une technique infiniment
supérieures à tous leurs prédécesseurs. Armés de TSF, d’avions, d’autos, d’outillage
scientifique, pourvus de bibliothèques et de disques, ils demeurent, dans le
désert glacé, d’authentiques civilisés… Il n’y eut pas une querelle grave entre
eux, pas un manquement à la solidarité, mais des miracles de dévouement chaque
jour. Qu’ils nous soient infiniment remerciés de nous apprendre de quelle
noblesse, de quel courage l’homme de notre temps, le plus banal, le plus simple
des hommes de notre temps est capable pourvu qu’au lieu de faire appel en lui à
la brute on lui demande fermement un exploit intelligent et volontaire…
Stalinisme et libre examen
5 décembre 1939
Si l’on demandait à des étudiants – et de plus, socialistes
– de débattre sérieusement entre eux les questions suivantes :
– Le libre examen était-il compatible avec le bon
fonctionnement de la Sainte Inquisition ?
– Le libre examen est-il compatible avec le bon
fonctionnement des institutions dirigées dans le III e Reich par MM. Gœbbels
et Himmler ?
Si l’on demandait, dis-je, à des étudiants d’ouvrir dans
leur presse une enquête contradictoire sur ces sujets, se ferait-on bien
recevoir ? Sur la deuxième question, en particulier, les étudiants de ce
pays pourraient songer à consulter leurs frères de Prague.
Et pourtant l’enquête ouverte par une revue d’étudiants
bruxellois, dont on m’envoie des coupures – la revue
Jeudi
, « organe du libre examen » [342] –, sur la compatibilité
du stalinisme avec le libre examen suscite chez quiconque connaît tant soit peu
la question l’étonnement même que l’on éprouverait à parler de liberté intellectuelle
à propos de Torquemada. Et un autre étonnement encore. La jeunesse universitaire
est-elle donc si peu informée des choses d’URSS qu’elle puisse ingénument s’interroger
de la sorte ? Subit-elle encore à ce point les effets d’un bourrage de
crânes tellement cynique et tellement sot qu’il nous a paru quelquefois se
désarmer lui-même ? N’a-t-elle pas songé à consulter les étudiants des
universités soviétiques ou les étudiants soviétiques des universités d’Occident ?
Une tentative dans ce sens aurait d’emblée permis deux constatations : que
la correspondance avec l’URSS est impossible ; et qu’il n’y a pas d’étudiants
soviétiques à l’étranger parce que l’on ne sort pas de Russie : on y
demeure bon gré mal gré.
La coupure de presse que l’on m’envoie contient une réponse
à cette enquête signée d’un membre du Cercle des étudiants socialistes unifiés
de Bruxelles, qui est visiblement un propagandiste stalinien d’une singulière
ignorance ou d’une singulière inconscience. Il feint tout d’abord de confondre
marxisme et stalinisme. La pensée de Marx, nourrie de liberté scientifique, commande
avec une rigueur admirable une constante recherche libre, sans cesse renouvelée
et une soumission désintéressée à la vérité. Elle exclut tout doctrinarisme
desséchant comme tout confusionnisme veule. Elle est ardente, vivante, dialectique,
c’est-à-dire libre dans son effort mais non point dans ses conclusions, car il
ne nous appartient pas de choisir les résultats de l’investigation… mais il n’est
plus permis d’ignorer aujourd’hui que le stalinisme a tué le marxisme sous des
milliers de tonnes d’insipides publications totalitaires où la falsification
impudente de l’histoire (ce n’est pas Trotski, c’est Staline qui a créé l’Armée
rouge !) le dispute aux plus impudentes variations idéologiques (dernière
version en date de l’agitation officielle : ce n’est plus le fascisme, c’est
la social-démocratie qui est le pire ennemi du « communisme ») ;
tué le marxisme en tuant les marxistes à coups de revolver dans la nuque, de la
façon la plus littérale (pauvre Boukharine, pauvre Piatakov – et Zinoviev, et
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