Retour à l'Ouest
Russes décidèrent, on s’en souvient, une
sorte de coup de force en Espagne. Les communistes, ayant provoqué les graves
émeutes de Barcelone, exigèrent et obtinrent la mise hors la loi du parti
ouvrier d’unification marxiste formé d’anciens communistes opposants [345] , assassinèrent
Andrés Nin, qui était le leader de ce parti, obligèrent le vieux socialiste
Largo Caballero, chef du gouvernement, à démissionner – puisqu’il n’entendait
pas mettre un parti ouvrier hors de la légalité – et lui substituèrent à la
présidence du Conseil le docteur Negrín, depuis longtemps désigné pour cette
fonction par l’envoyé de Staline en Espagne, Stachevski [346] . Mais il fut
impossible de constituer un cabinet sans y faire entrer quelques hommes
intègres jouissant d’une autorité réelle dans le pays. Negrín fit appel à
Indalecio Prieto, leader de la droite du parti socialiste, et lui offrit le
portefeuille de la Défense nationale. Prieto accepta.
Quelques jours plus tard, le nouveau ministre de la Défense
nationale, l’homme chargé de la conduite de la guerre, voyait entrer dans son
cabinet deux ministres communistes (on nous entend bien, c’est staliniens qu’il
faut lire), Uribe et Hernández . Ils
venaient l’inviter à recevoir par leur truchement, avant d’assister aux
réunions du Conseil des ministres, les directives du bureau politique de leur
parti, c’est-à-dire celles que leur faisait tenir Moscou. Prieto les remballa
poliment, mais fermement. À partir de ce moment, une insidieuse campagne de
calomnies commença contre lui au front comme à l’arrière ; on s’efforça de
placer autour de lui des hommes chargés de le surveiller et de contrecarrer son
action. Une lutte sournoise de tous les instants s’engagea entre les Russes et
le ministre indocile, lutte qui devait se terminer par la démission de ce
dernier peu de temps avant la défaite irrémédiable de la République.
Jamais, dit Prieto, les Russes n’eurent plus de cinq cents
hommes, experts, dirigeants, généraux, policiers, aviateurs, en Espagne ; ces
faibles effectifs, placés aux postes de contrôle les plus importants, leur
suffisaient, grâce au concours des communistes espagnols – dressés à l’obéissance
passive –, pour gouverner en sous-main le pays qu’ils tenaient en lui vendant
du matériel de guerre, à bon prix d’or, cela va de soi. Les aviateurs russes se
relayaient vite car « l’Espagne – pauvre Espagne ! – était devenue
une école de guerre sur le vif. L’Allemagne, l’Italie, la Russie essayaient
leurs nouvelles machines de guerre sur la chair espagnole ».
Le système consistait à créer au besoin des institutions
policières, à les monopoliser, à en user sans scrupules. Depuis longtemps, les
Russes recommandaient la création d’un service d’investigations militaires, destiné
à contrôler l’armée. Prieto résista, puis céda. Il savait l’usage que les
staliniens avaient fait du pouvoir à la Sûreté générale, sous le colonel Ortega,
qui était à eux. Il décida de nommer lui-même tous les fonctionnaires du
nouveau service et de mettre à sa tête des républicains ou des socialistes ;
il consentit à nommer chef du SIM pour la région madrilène un communiste nommé
Durán qui s’empressa de nommer de son propre chef, illégalement, plusieurs
centaines d’agents subalternes. L’abus de pouvoir étant intolérable et flagrant,
Prieto fit renvoyer Durán à l’armée combattante. Un Russe vint le sommer de
réintégrer Durán dans ses fonctions, faute de quoi, dit le Russe, « je
romprai toute relation avec vous ». Et les relations furent rompues.
Le colonel Uribarri, nommé chef du Service des
investigations militaires, était un vieux socialiste. Invité à une entrevue
nocturne, dans une auto, par un dirigeant russe, il se vit sommé de prendre ses
ordres chez ce dernier à l’insu du ministre de la Défense nationale. Il commença
par en informer Prieto, résista un moment, puis céda. « La direction du SIM
m’échappa », écrit Prieto qui explique que son collaborateur, surmené, privé
de sommeil, subit des influences mystérieuses…
Le ministre signait, les fonctionnaires accomplissaient
leurs tâches dans les bureaux, les soldats combattaient : derrière les uns
et les autres, dans le secret d’une action occulte dirigée de très loin, un
parti, doublé d’une police étrangère, contrôlait tout…
Les dessous du
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