Retour à l'Ouest
d’Apocalypse ;
et M. Rauschning nous fait d’Hitler un portrait de personnage
apocalyptique. On voudrait lui répondre :
« Ce funeste visionnaire, monsieur, est né de votre
banqueroute. Il incarne assez bien la faillite d’un système que vous n’avez eu
ni l’intelligence ni la générosité de sacrifier. Pendant quinze ans, vous avez
défendu, tantôt à coups de mitrailleuses, dans les rues, tantôt par une
inflation insensée, tantôt par des expédients économiques qui finirent par
jeter sur le pavé sept millions de chômeurs, des privilèges mortels pour votre
nation. L’Allemagne est une vaste usine, formidablement équipée. Vous n’avez
pas consenti à ce qu’elle fût réorganisée au profit de la communauté, pour s’intégrer
ensuite dans une communauté européenne. Vous n’avez pas consenti à ce qu’elle
employât ses richesses, encore énormes mais scandaleusement réparties, à
fabriquer pour la consommation des masses ; et vous avez dû les employer, sous
la dictature d’un chef de bande, à fabriquer des obus pour tenter de porter un
coup mortel à la civilisation européenne. N’appelez pas aujourd’hui à votre
secours la mystique, la psychologie du subconscient, la magie noire ou blanche :
il ne s’agit que de votre faillite. »
Mais sur cette faillite même, M. Rauschning est
extrêmement discret. Une fois seulement il qualifie Hitler « l’homme de l’industrie
lourde ». Une autre fois, il cite un mot magnifique du
Führer
. C’est dans le chapitre XVI, intitulé :
« Enrichissez-vous ! » La devise est vieille comme le monde
capitaliste et ne suscite de coutume, dans ce monde, aucune indignation
particulière. Mais les hommes en chemise brune ayant reçu le pouvoir se mirent
à s’enrichir brutalement : c’étaient pour la plupart des déclassés
appartenant à la petite bourgeoisie ruinée précisément par la politique de la
Schwerindustrie
. Ils se remplirent les
poches comme ils purent, sans y mettre de façons, et ce fut naturellement en
prenant l’argent où il y en avait, c’est-à-dire chez les riches. L’indignation
de ceux-ci fut grande. Rauschning raconte qu’Hitler prit avec fougue le parti
de ses
Gauleiters
[358] , accusés de
faire des fortunes par de mauvais procédés. « “Si nous contribuons à la
grandeur de l’Allemagne, s’écria le
Führer
,
nous avons aussi le droit de songer à nous. Nous n’avons pas à nous soucier des
conceptions bourgeoises d’honneur et de réputation. Que ces messieurs se le
tiennent pour dit : Nous faisons au grand jour et sans aucun scrupule de
conscience ce qu’eux-mêmes faisaient secrètement et avec des remords.” »
« Hitler, écrit Rauschning, hurla : “Pensaient-ils,
par hasard, tous ces bourgeois, que nous allions les sortir du pétrin et qu’ils
nous renverraient ensuite les mains vides ? Trop commode, messieurs !” »
L’homme de main de la contre-révolution tient le langage qui lui est propre. Tout
aussi net quatre pages plus loin : « “J’ai besoin d’hommes à poigne
qui ne méditent pas sur les principes avant d’assommer quelqu’un. Et s’ils
chapardent à l’occasion montres et bijoux, je m’en fiche comme d’une crotte.” »
Quand une classe dirigeante remet son sort entre les mains d’assommeurs
professionnels plutôt que d’accepter la loi d’une démocratie, c’est d’abord qu’elle
n’est plus ni digne ni capable de diriger, ensuite qu’elle se voue à la
dictature des déclassés – et c’est assurément la pire.
Les deux bilans de l’URSS *
27 février 1940
Confondre des moments différents de l’histoire, des
mouvements sociaux opposés, des principes contraires, tel est bien l’un des
procédés favoris des gens qui, par intérêt – et quelquefois par ignorance – cherchent
à déformer la vérité. Il est plus facile, d’ailleurs, de la déformer que de la
rechercher. Ces diverses raisons font qu’il ne manque pas de journalistes et
même d’économistes pour tenter de rejeter sur le socialisme le discrédit de la
réaction stalinienne, présenter Staline comme le continuateur de Lénine – et c’est
ce qu’il souhaite lui-même faire admettre –, confondre sous la même réprobation
la révolution russe et la contre-révolution stalinienne qui a, quant à présent,
vaincu cette révolution de l’intérieur, à peu près comme en 1794, le 9 Thermidor,
les enrichis et les profiteurs de la révolution française
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