Retour à l'Ouest
l’emportèrent sur les
Jacobins qui représentaient l’élément actif d’un peuple révolutionnaire fatigué
par ses exploits et désorienté par une longue crise économique.
En réalité, la révolution russe commence en mars 1917 par la
chute de l’autocratie, continue, entre 1918 et 1921 par les grandes victoires
socialistes, se stabilise entre 1921 et 1925, commence à porter ses fruits
entre 1924 et 1928 en améliorant très sensiblement la condition matérielle des
masses (par rapport à ce qu’elle était sous l’ancien régime) ; fin 1927, la
crise du parti que l’on a quelquefois appelé le « Thermidor soviétique »
se termine par l’avènement au pouvoir de la bureaucratie dont Staline est le
chef politique. À cette date, la révolution est finie, étranglée, un nouveau
régime s’institue, qui est celui de la contre-révolution intérieure. Celle-ci, comme
en 1794 les Thermidoriens, maintient bien entendu certaines conquêtes
essentielles de la période antérieure, mais pour les exploiter à son seul
profit.
Ce que nous exposons ici, l’étude de la vie économique de l’URSS
au cours des vingt années écoulées le démontre irréfutablement. Un économiste
libéral qui s’est consacré depuis le début à cette étude, en utilisant avec
esprit critique toutes les données fournies par la statistique soviétique – et
sa connaissance approfondie de la vie russe –, le professeur Prokopovitch, vient
de publier en anglais, à Genève, un remarquable bilan de
L’Économie soviétique en 1939
, fondé sur
toute l’évolution passée. Les courbes qu’il fait ressortir sont d’une netteté
parfaite. Pendant la première phase de la révolution, la guerre civile, la
production baisse dans les villes et dans les campagnes, la condition
matérielle des travailleurs empire. Les frais généraux de la lutte sociale sont
considérables, mais aussitôt acquise la victoire, le relèvement économique commence
et il est acquis en cinq années environ, entre 1922 et 1927. Dans les villes et
dans les campagnes, la République socialiste a réussi à reconstruire, à remettre
en marche toutes les entreprises, à remédier à l’effroyable délabrement des
transports qui résultait de la grande guerre, à assurer à la population un
minimum de bien-être dépassant le niveau d’avant-guerre ! Donnons des
chiffres. Le cheval et la vache témoignent du bien-être du paysan russe ; or,
entre 1916 et 1922 (du fait donc de la guerre mondiale et de la guerre civile) le
nombre des chevaux décroît de 32,5 % ; le nombre de bêtes à cornes décroît
de 24,4 % ; celui des vaches de 4,6 %. Les paysans perdent plus du quart
de leur bétail. La paix revenue, dans une société nouvelle, l’accroissement du
cheptel sera vite supérieur à la perte. Entre 1922 et 1928, cet accroissement
est en effet de 28,9 % pour les chevaux, 54,1 % pour les bêtes à cornes, 23,3 %
pour les vaches. Survient la crise du pouvoir et Staline triomphe en 1927, pour
imposer la collectivisation agricole. On voit fondre le bétail, tandis que la
misère s’installe aux foyers des gens de la terre. Chiffres : entre 1928
et 1933 on voit disparaître 50,6 % des chevaux, 45,6 % des bêtes à cornes, 36,4
% des vaches…
Considérons maintenant les salaires réels des ouvriers. Le
président du Conseil des Commissaires du peuple, M. Molotov s’est permis d’affirmer
un jour que les salaires avaient doublé pendant la première période
quinquennale… M. Prokopovitch lui répond : « Non, les salaires
réels ont été au contraire diminués de 45 % » – et il le prouve. Il est d’une
difficulté extrême de tenir compte à la fois des valeurs instables et variées
du rouble papier, des prix, qui varient, eux aussi de diverses façons, et enfin
des subterfuges compliqués de la statistique officielle. P. Prokopovitch finit
par dresser le tableau suivant, qui s’accorde, je dois le dire, avec tout ce
que j’ai pu observer sur place. Si l’on rassemble dans un « panier à
provisions » les articles de consommation nécessaires à la subsistance de
l’ouvrier russe, on constate que son salaire mensuel de 24,3 roubles-or, lui
permettait en 1913 l’achat de 3,7 paniers ; en 1928 (et c’est l’acquis de
la révolution), son salaire de 66,9 roubles-papier lui permet l’achat de 5,6
paniers ; en 1937, dix ans après la victoire de la contre-révolution
stalinienne, son salaire de 241,8 roubles-papier ne lui
Weitere Kostenlose Bücher