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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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expéditions. C’en
est le technicien le plus qualifié. C’en est le chef obéi et digne d’être obéi ;
c’en est le grand responsable. Aucun orgueil en lui, mais combien de ferme
dignité ! Et dans l’exploit individuel comme il se sent rattaché aux
autres, à tous les hommes par le sentiment d’appartenir à la vaste collectivité.
Il écrit : « J’ai intitulé mon livre
Seul
mais il est évident qu’aucun homme n’aurait pu
accomplir ce que j’ai accompli sans l’appui loyal et cordial de ses semblables.
Cette entraide demeure peut-être ce qu’il y a de plus beau dans l’aventure. »
    Pendant quatre mois et demi – toute la nuit polaire – Byrd
vécut seul à la base avancée, dans un confortable abri creusé dans la neige. Il
y manqua mourir… Que le mot « confortable » ne fasse pas illusion. Dans
l’abri même le froid tombait au-dessous de 50 degrés. Le froid éteignait les
ampoules électriques, le froid gelait le mercure des thermomètres. Il atteignit
dans la plaine – 83 degrés ; Byrd, malade, sortait en chancelant pour
faire ses observations. Les émanations de gaz de son poêle l’empoisonnaient
lentement. Ses forces déclinèrent, il ne tint plus debout, il fallut qu’il se
traînât de syncope en syncope, pour mettre de la glycérine dans l’encre des
appareils enregistreurs, ouvrir des boîtes de conserve, allumer une lampe, manipuler
son télégraphe morse. Il ne voulait pas appeler au secours pour ne pas risquer
la vie des hommes qui fussent venus le chercher à travers les ténèbres et le
gel terrible. Mais à Petite Amérique, on devina la cause de ses communications
défaillantes, on imagina des prétextes pour venir – et c’est ainsi qu’il fut
sauvé à son poste, au tout dernier moment semble-t-il. Quand arrivèrent les
camarades, il trouva encore la force de leur dire : « Une bonne soupe
chaude vous attend » – et perdit connaissance. Voici le chef !
    Un chapitre du livre est intitulé : « Désespoir ».
Et c’est dans ces pages-là que l’homme atteint à la paix dans la force
spirituelle. Il pense à l’univers et à lui-même qui n’est qu’un intime fragment
pensant de l’univers. Et il jette sur le papier son credo, pareil à celui de Gœthe :
« L’univers est vivant… mû par une intelligence qui se manifeste partout… dont
le but principal est peut-être l’accomplissement de l’harmonie universelle… La
vie humaine n’est pas seule dans l’univers… » Je pense à un autre chef des
hommes toujours en marche, à Blanqui, enfermé, seul, au fort du Taureau, y
contemplant, gardé par des sabres nus, les étoiles et rentrant dans sa cellule
pour écrire
L’Éternité par les astres
.
Et je pense au mot de Maxime Gorki : Il est beau d’être un homme.

Hitler peint par Rauschning
    16 février 1940
    M.  Rauschning nous donne dans
Hitler m’a dit
[356] le portrait
vivant d’Hitler dont il a été, en sa qualité de grand bourgeois réactionnaire
allemand et de président du Sénat de Dantzig, pendant de longues années, un
fidèle collaborateur. Il ne faudrait pas l’oublier : la grande bourgeoisie
conservatrice d’Allemagne a subventionné Hitler, l’a nourri, fortifié, porté au
pouvoir : car le pouvoir, il ne l’a pas pris, il l’a reçu des mains
défaillantes du vieux président Hindenburg, lui-même conseillé par les maîtres
de la métallurgie, les hobereaux, les généraux. On ne voit pas très bien, dans
le livre de M. Rauschning l’évolution de l’auteur ; mais on se rend
compte qu’il admira d’abord le chef des bandes en chemises brunes qui
promettait de rétablir l’ordre dans le Reich en infligeant à la classe ouvrière
toutes les saignées qu’on voudrait ; qui promettait de refaire une grande
Allemagne contre-révolutionnaire et antisocialiste en mettant au service des
magnats de l’industrie lourde ses formations de déclassés avides, décidés à
faire leur trouée dans l’effondrement d’une civilisation dont l’outillage ne
pouvait plus, sans des changements décisifs, fonctionner au profit de la
collectivité. Les Rauschning, les Thyssen [357] admirèrent d’abord, et financèrent ; quand ils comprirent qu’ils s’étaient
donné des maîtres sans foi, il était trop tard. Rauschning et Thyssen ont pris
la fuite ; d’autres, en Allemagne, se rongent les poings. Les uns et les
autres, dans leur désespoir, ont le sentiment d’assister à une sorte

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