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permet que d’acheter 2,6
paniers. La dictature de la bureaucratie a ramené les salaires réels à quelque
30 % au-dessous de leur niveau de 1913.
La condition présente de l’ouvrier soviétique
5 mars 1940
Je me souviens de la sourde hostilité à laquelle je me
heurtais chez bien des personnes quand, en 1936, j’arrivai de Russie à
Bruxelles, puis à Paris. Je m’efforçais de faire comprendre – en ces beaux
jours du Front populaire stalinisé – que les diverses propositions qui s’étaient,
là-bas, dressées contre la dictature du secrétariat général, et que l’on
traquait sans fin ni merci pour cette raison, songeaient essentiellement à
défendre l’idée socialiste et les intérêts réels des travailleurs menacés par
une nouvelle caste de parvenus. « Mais enfin, me demandait-on parfois, vous
ne nierez pas que l’ouvrier soviétique vit mieux qu’auparavant ? – Non, répondais-je,
il a perdu tout ce qu’il avait gagné en 1927, après dix ans de victoires et de
travail, et il vit même, bien souvent, moins bien ou plus mal que sous l’ancien
régime. » (Ceci dit sans envisager un certain acquis moral dont nous
reparlerons un autre jour.) Et mes contradicteurs, je le voyais, eussent
volontiers mis au compte de mon « esprit partisan » une affirmation
aussi énorme, aussi gravement en contradiction avec la propagande officielle à
laquelle ils prêtaient foi sans s’imaginer l’usage impudent qu’elle faisait du
mensonge et des truquages. Puis, peu à peu, la vérité commença à percer. Les
témoignages concordants d’Yvon, de Walter Citrine, de Kléber Legay, d’André
Gide, d’Anton Ciliga [359] firent leur chemin et les procès de Moscou, jetant une lueur effroyable sur la
réalité russe, familiarisèrent le public avec l’idée qu’une contre-révolution s’était
installée dans les institutions de la révolution.
Et nous voici en 1940, après le pacte Hitler-Staline, le
partage de la Pologne, l’abandon au nazisme – par l’URSS – de toute la Pologne
ethnique, pendant la guerre atroce de Finlande. Bien des yeux se sont ouverts, mais
pas tous. À ceux qui souhaitent connaître et comprendre, nous continuerons d’apporter
des données précises.
Nous citions ici [360] ,
il y a quelques jours le bilan de
L’Économie
soviétique en 1939
du professeur Prokopovitch, récemment publié à
Genève, en anglais [361] .
Nous tenons à lui emprunter encore quelques indications établies d’après les
renseignements de source soviétique, au prix de recoupements habiles et
intelligents [362] .
Nous exposions que le salaire réel moyen de l’ouvrier soviétique était en 1939
d’environ 30 % au-dessous de ce qu’il était avant la révolution ; et plus
inférieur encore au salaire réel des années 1927-1928, au cours desquelles dix
années de régime socialiste commencèrent à porter leurs fruits. Pour l’industrie
lourde, on a les données suivantes. Le salaire de 1913, dernière année de l’avant-guerre,
est de 23 roubles-or et 30 kopecks ; si on l’exprime par un nombre
conventionnel, qui sera 100, d’après la capacité d’achat, on s’aperçoit qu’en
1927-1928, avant la réaction stalinienne, le travailleur de l’industrie lourde
gagnait 151 ; son salaire réel avait augmenté d’un tiers six à sept ans
après la fin de la guerre civile ! Par contre, en 1937, il ne gagne plus
que 70… Données approximatives, mais saisissantes. La majeure partie des
salaires nominaux est escamotée par les taxes sur les prix. Pour arriver à ces
résultats, le gouvernement a procédé simultanément par l’inflation et l’augmentation
des salaires payés en roubles-papier dévalués, et par une politique des prix
fort ingénieuse en ses multiples aspects, mais tendant invariablement à frustrer
le consommateur. Qu’il nous suffise de rappeler que le même article est encore
vendu à des prix très différents selon qu’il s’agit des coopératives dans
lesquelles s’approvisionnent les dirigeants, des magasins réservés aux paysans
ayant fait à l’État des livraisons de grains, ou des magasins accessibles au
public, ou encore du marché libre et semi-clandestin.
La contre-révolution stalinienne a de même aggravé la crise
du logement, dans des proportions significatives. En 1923, la population
urbaine disposait en moyenne de 5 à 6 mètres carrés de superficie habitable par
tête d’habitant : en 1937, la moyenne correspondante tombe à
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