Retour à l'Ouest
épuisée, guettée
par une foule d’ennemis, en proie aux révoltes paysannes : à Tambov, de
véritables armées de paysans instituaient, conduites par un maître d’école
nommé Antonov , une sorte de pouvoir
contre-révolutionnaire. Il fallait se hâter de vaincre Cronstadt, car la glace
pouvait se rompre, rendant la forteresse imprenable ; une nouvelle guerre
civile, entre révolutionnaires, cette fois, mais les uns aigris et désespérés
par les privations, prêts à tout céder aux masses arriérées, les autres
représentant la plus haute et la plus ferme conscience sociale, mais captifs de
leur propre politique et d’un État déjà malade – une nouvelle guerre civile, mortelle,
pouvait commencer… En dépit de la gravité du moment, le Comité central de
Lénine-Trotski demeure responsable devant l’histoire des fautes qu’il commit
alors. Pourquoi s’était-il refusé à négocier avec le soviet de Cronstadt avant
la rébellion ? Pourquoi, puisqu’il allait proclamer la NEP, une si dure
intransigeance ? Pourquoi refusa-t-il de recourir à une médiation offerte
et parfaitement possible ? Pourquoi laissa-t-il fusiller en masse les
vaincus ? Comment ne comprit-il pas qu’une réforme économique serait
insuffisante, qu’il fallait aussi un souffle d’air frais, un souffle de liberté ?
Mais loin d’y songer pour le pays, Lénine fit à ce moment interdire dans le
parti les tendances et fractions.
C’est au drame de Cronstadt 1921 qu’il faut remonter pour
voir la révolution russe changer de visage. Cronstadt marque la première
victoire sanglante de l’État bureaucratique sur les masses laborieuses. Cet
État est encore dirigé par les grands bolcheviks, qui sont des socialistes
ardents et clairvoyants ; mais en réalité, la machine les domine déjà et
déjà l’habitude d’un pouvoir absolu – sans contrôle démocratique – modifie leur
mentalité… Tout n’est pas encore perdu, mais tout est bien compromis.
Le cas de M. Souritz *
9 avril 1940
Rappelons les faits. L’ambassadeur de l’URSS à Paris,
M. Souritz [366] ,
fait porter tout récemment dans un bureau de poste un télégramme (rédigé en
français) de félicitations à son gouvernement à l’occasion de la conclusion de
la paix avec la Finlande.
La censure lit ce télégramme, comme il se doit, M. Souritz
ne l’ignore pas ; et elle y trouve des phrases de meeting communiste sur « les
provocateurs de guerre anglo-français » qui ont, paraît-il, mis la
Finlande à feu et à sang… Un ambassadeur étant par définition tenu de ne point
insulter, diffamer ou discréditer le gouvernement auprès duquel il est
accrédité, la gaffe semble un peu forte ; le gouvernement français, informé,
fait dire à Moscou que cette singulière petite manifestation télégraphique rend
la présence de M. Souritz à Paris indésirable. M. Lozovski ,
que nous avons connu secrétaire de l’Internationale des syndicats rouges [367] et qui remplit
maintenant les fonctions de sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, répond
aimablement au chargé d’affaires français : « C’est entendu, nous
rappelons M. Souritz. L’incident est réglé ».
Drôle d’incident. On n’appartient pas pendant plus de dix
ans à la carrière diplomatique pour commettre de semblables gaffes. M. Souritz
a été ambassadeur de l’URSS à Ankara, avant Karakhane, fusillé ; puis ambassadeur
à Berlin, après Krestinski, fusillé, et avant Iouténiev, vraisemblablement
fusillé. C’est un vieux militant du
Bund
socialiste juif de Russie dont la plupart des leaders d’autrefois, passés comme
lui au communisme, ont disparu dans les prisons de Staline : ainsi
Rakhmiel-Weinstein, Froumkina, Bornstein, Moroz… M. Souritz survit donc à
une génération de militants socialistes qui furent les compagnons de sa
jeunesse et à une génération de diplomates soviétiques qui furent ses collègues
et ses amis, dans l’âge mûr. Il appartenait de plus à l’équipe de M. Litvinov,
autre tort grave… (Notons en passant que M. Maïsky, ambassadeur à Londres,
et M. Roubinine, ambassadeur à Bruxelles, appartiennent à la même équipe, ce
qui ne nous rassure pas sur leur avenir…). M. Souritz est un homme cultivé,
très fin, un haut fonctionnaire stalinien d’une docilité parfaite, tout à fait
terrorisé, nous le savons depuis les procès de Moscou et qui ne craignait rien
tant que d’être rappelé. Ce
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