Retour à l'Ouest
à l’opinion des pays de
langue française, au nom du Front noir. Il espère, demain, jouer sa partie
politique dans une Allemagne délivrée. S’il entend mériter l’intérêt, sinon la
confiance de ceux qui le lisent, il lui appartient de s’expliquer encore sur
quelques points capitaux. – Que pensez-vous, Strasser, que pense le Front noir
des droits du mouvement ouvrier ? Quelle est votre attitude à l’égard du
socialisme marxiste ? Êtes-vous antisémite ? Nous avons besoin de le
savoir pour être tout à fait fixés sur ce qui vous sépare d’Hitler.
Le souvenir de Cronstadt 1921
1 er avril 1940
Tant d’événements nous entraînent, nous emportent, que nous
négligeons les plus chers anniversaires. À peine si, dans la presse socialiste
française, l’on a discrètement mentionné celui de la Commune de 1871. La chute
de l’autocratie en Russie, cette révolution de mars 1917 qui fit passer sur le
monde un si grand souffle d’espérance, personne ne l’a rappelée. Car nous faisons
l’histoire et nous en sommes les jouets. Les grands faits d’hier et d’avant-hier
changent à nos yeux au fur et à mesure que les perspectives présentes se modifient ;
et ce n’est pas fini, ce ne sera jamais tout à fait fini. Pour la jeune
génération socialiste, la révolution russe n’apparaît plus qu’à travers le
prisme sanglant du stalinisme. Comment la comprendre dès lors, comment y
retrouver des exemples et des sources de confiance ? On ne les retrouvera
qu’aux tournants de l’avenir, quand le cauchemar sera dissipé.
Le 18 mars dernier, jour anniversaire de la prise du pouvoir
par la Commune de Paris, un souvenir poignant m’est revenu à l’occasion de
certains travaux. Le 18 mars 1921, je passai une grande partie de la journée
dans mon cabinet de travail de l’Institut Smolny, à Petrograd, à quelques
mètres du cabinet de Zinoviev, alors président
du soviet de la ville… Je le vis plusieurs fois dans la journée, morne et d’humeur
sombre, sa lourde tête ébouriffée toujours près du téléphone.
Les canons tonnaient avec régularité sur le golfe de
Finlande : il me semblait voir leur souffle rauque rider les eaux tristes
et houleuses de la Neva. Nous vivions des heures intolérables, nous nous
sentions pris dans une impasse, réduits à des actions mauvaises, ployant déjà
sous le poids de fautes lourdes… Les journaux de Petrograd commémoraient
longuement, dans le style pathétique de l’époque, l’anniversaire de la Commune
de Paris, et ce canon haletant que l’on entendait c’était celui de la flotte
rouge qui tirait sur Cronstadt. Les marins de Cronstadt s’étaient révoltés le
28 février contre le régime établi dans la république des Soviets par le Comité
central du parti bolchevique de Lénine, Trotski, Dzerjinsky, Zinoviev, Kamenev.
Ce n’était pas un soulèvement contre-révolutionnaire, c’était le soulèvement
des meilleurs fils de la révolution, de ces marins qui, partout, avaient
déployé sous les drapeaux rouges une magnifique énergie. Ils réclamaient un
changement économique et des soviets librement élus. Le changement économique
était devenu tellement nécessaire que, pendant le soulèvement même, Lénine le
fit décider au Xe congrès du parti et ce fut la fin des réquisitions dans les
campagnes, la fin du communisme de guerre avec ses réglementations bureaucratiques
de la production et de la consommation rationnée, le début de la NEP, nouvelle
politique économique, liberté du commerce, de l’artisanat, de la production
rurale (l’impôt se substituant aux réquisitions). Le Comité central avait eu le
tort impardonnable de s’obstiner dans la voie du communisme de guerre : quelques
mois auparavant, il avait repoussé une proposition de Trotski, tendant à
établir une sorte de NEP, et qui, adoptée, nous eût évité Cronstadt. On avait
déporté à Pskov l’historien socialiste Rojkov pour avoir
écrit à Lénine en préconisant une réforme de ce genre. Boukharine, dans un gros
ouvrage théorique, démontrait que le communisme de guerre nous conduirait en
droite ligne – ou peu s’en fallait – au socialisme véritable…
Le conflit arrivé à ce degré, il ne restait plus au
gouvernement révolutionnaire qu’à réprimer le soulèvement de Cronstadt sans
perdre un jour. Les marins avaient raison à divers égards, mais ils mettaient
néanmoins en danger l’existence même de la République affamée,
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