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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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une victoire complète, la maintenir, s’emparer de tous les
leviers de commande de la société, économiques et politiques, faire marcher
toute la machine, réorganiser, dans les conditions les plus mauvaises, en dépit
de difficultés invraisemblables, toute la production sur des bases
collectivistes.
    Voilà ce qui reste et restera, voilà ce qui fait luire derrière
nous l’Octobre russe comme une flamme que rien ne peut ternir.
    Les luttes qui ont suivi, les méthodes employées, les échecs,
les réalisations, les résultats à la fois grandioses et parfois tragiquement
décevants laissent le mouvement ouvrier profondément divisé et les hommes de
bonne volonté dominés par une immense inquiétude. L’exemple à ne pas suivre se
mêle par trop, à certaines heures, à l’exemple à suivre. Peu nous importe. La
pensée socialiste est essentiellement une forme de la pensée critique. Elle se
nourrit de toute expérience et n’a d’aversion insurmontable que pour l’aveuglement.
Et l’on se sent fortifié de pouvoir se retourner vers la grande date d’Octobre
1917 au moment où les travailleurs de Madrid livrent peut-être leur bataille de
la Marne.

Appel à la raison
    14-15 novembre 1936
    Considérons une fois encore, de sang-froid, sans nous
leurrer ni céder à l’anxiété, la tragédie espagnole. Nul ne sait, au moment où
j’écris, si Madrid sera perdue ou sauvée [76] .
Le sang des travailleurs coule à flots, leur République se défend pied à pied
sans réussir à enrayer l’avance lente, mais continue, des Maures. L’armée
fasciste qui a poignardé le pays semble effectuer irrésistiblement sa conquête…
Les témoins revenus de là-bas n’expliquent que trop bien ces événements. L’expédition
de Majorque fut une faute coûteuse, due à l’esprit d’entreprise des Catalans et
à l’absence de plan d’ensemble dans la lutte [77] .
Les tiraillements entre Madrid et Barcelone ont nui à l’action commune. À
Madrid même, les syndicalistes anarchistes, représentant un élément très
combatif de la classe ouvrière, sont entrés trop tard au gouvernement. Huesca, au
front d’Aragon, n’est pas encore prise parce que les valeureuses milices commandées
par Durruti ne savent pas, à la vérité, faire la guerre [78] .
    Tolède est tombée non seulement faute d’armes, mais aussi
faute d’organisation [79] .
Les milices n’ont pas su tirer parti de leurs propres forces pour défendre
cette position. Madrid, enfin pourvue d’un matériel de guerre suffisant, paraissait
avoir la supériorité sur les rebelles, il y a déjà une dizaine de jours. C’est
faute d’organisation, de discipline, de préparation militaire que la capitale s’est
trouvée terriblement compromise… Voilà le mal, vu bien en face. Compromet-il
irrémédiablement l’avenir ? Annonce-t-il la défaite de nos frères d’Espagne ?
    Nous savions avant ces luttes la supériorité de l’armée sur
le peuple. Une petite troupe disciplinée et pourvue de mitrailleuses à tir
rapide peut battre la population ouvrière d’une grande ville désarmée et lui
imposer le joug. Mais le problème d’Espagne, bien qu’il se réduise parfois, sur
le terrain des opérations, au combat de troupes de choc et de milices inexpérimentées,
a une autre ampleur. Qu’il me soit permis d’évoquer à son propos l’expérience
de la révolution russe, expérience dont j’ai été le témoin en ses heures les
plus noires. Les généraux blancs appuyés par l’intervention étrangère eurent, là-bas
aussi, une supériorité militaire incontestable sur les armées rouges naissantes,
chaotiques et parfois aussi mal équipées que commandées… Les travailleurs
russes connurent des revers effroyables ; les généraux réussirent à
occuper environ les quatre cinquièmes du pays, à cerner les capitales, à faire
tonner le canon aux portes mêmes de Petrograd… Ils furent pourtant vaincus, à
la longue, parce qu’ils avaient toute la population laborieuse contre eux ;
et parce que le temps travaillait contre eux. Leurs forces vives, limitées, puisqu’ils
représentaient une minorité sociale, s’usaient, tandis que les masses
populaires apprenaient à s’organiser et à se battre. Comme les Franco d’aujourd’hui,
ils mataient l’arrière à coups de massacres ; mais s’ils réussissaient
ainsi à le nettoyer de beaucoup d’ennemis, ils semaient derrière eux une
sanglante impopularité.
    N’en sera-t-il

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