Retour à l'Ouest
s’il est
encore à la citadelle de Las Palmas. Que son nom s’inscrive à côté de ceux d’Ossietzky
et d’ Edgar André .
Le 7 novembre 1917 [75] *
7-8 novembre 1936
Il y a dix-neuf ans – le 7 novembre 1917 – que, par un soir
de brume grise, des marins et des ouvriers portant des cartouchières sur leurs
pardessus se rassemblaient silencieusement à Petrograd, dans les rues
aristocratiques avoisinant le Palais d’Hiver. L’autocratie tricentenaire s’était
écroulée quelques mois auparavant. Un ministère de coalition, auquel se cramponnaient
les derniers espoirs de la bourgeoisie russe, siégeaient dans le Palais, cerné,
sous la garde d’un bataillon de femmes… La ville continuait à vivre dans sa
grisaille, les tramways roulaient à cinq minutes de là ; des gens
stationnaient sur le pont, intéressés par l’apparition, au milieu du fleuve, d’un
croiseur qui tournait ses canons vers le Palais. Il y avait des faisceaux sur
les trottoirs et des combattants en casquette se chauffaient autour des
braseros. Tout s’accomplissait en bon ordre, en silence, avec une détermination
sûre. Gardes-rouges et marins maugréaient que l’ordre de se lancer à l’assaut
se fit attendre. Temporiser encore ? Encore ? ! Pressés d’en
finir, les heures qu’ils croyaient perdre leur coûtaient. Lénine aussi, qui
vivait depuis quelques jours, presque sans sommeil, dans une vaste pièce de l’Institut
des Jeunes Filles de la Noblesse – Smolny – avait des sursauts d’impatience.
– Mais qu’est-ce qu’on fiche ?
bougonnait-il.
– Le Palais n’est pas encore pris ! Podvoyski mérite de se faire fusiller !
Podvoyski était le camarade chargé de diriger l’opération. Il
temporisait car, certain de la victoire, il ne voulait pas verser le sang. D’heure
en heure, le trouble grandissait parmi les défenseurs du Palais. Les artilleurs
passèrent à l’insurrection. Vers le soir, quand le bataillon des femmes et
quelques aspirants tenaient seuls, le signal de l’attaque fut donné. Le canon
de l’Aurore tonna, mais ne lança qu’un obus ou deux. Il suffisait de tirer à
blanc contre un gouvernement fantôme.
L’assaut fut bref. Quelques corps à corps sur des escaliers
de marbre, des portes lambrissées ouvertes à coups de crosses. Le bataillon de
femmes se rendit ; les ministres, blêmes, escortés par des marins
ricaneurs, furent dirigés vers la forteresse de Pierre et Paul, de l’autre côté
du fleuve, où, depuis deux siècles, tant de révolutionnaires, de penseurs et de
socialistes avaient passé. Le Congrès des Conseils Ouvriers – congrès des
Soviets – siégeait à l’autre bout de la ville. Kamenev, rayonnant, annonça la
victoire du peuple. Trotsky venait de dire : « Le canon, camarades, ne
nous empêche pas de travailler ; au contraire… » Alors, on vit monter
à la tribune un homme de quarante-cinq ans environ, plutôt trapu, large d’épaules,
au grand front dégarni, au visage souriant et débonnaire, qui dit en ouvrant
les mains, simplement :
– Camarades, nous commençons la
révolution socialiste.
Lénine était rentré l’avant-veille, grimé en malade, les
joues bandées, car il se cachait depuis plusieurs mois. Il avait même vécu
quelques jours, avec Zinoviev , dans une hutte de branchages
au bord du golfe de Finlande.
… Ainsi commencèrent les dix journées qui, selon le mot de
John Reed, ébranlèrent le monde ; et avec elles dix années. Ainsi fut
tournée, par des ouvriers, des marins et de vieux militants socialistes, une
page éclatante de l’histoire. Depuis, cette grande date a paru quelquefois s’obscurcir
aux yeux mêmes des hommes pour lesquels elle a la plus haute signification. Bien
des défaites, des erreurs, des tristesses ont pu en modifier le sens, et ce n’est
pas fini. L’histoire continue son cheminement, le monde est en marche. Les
hommes ne peuvent faire autrement que considérer le passé à travers le présent.
Il n’est point de jugements définitifs sur les événements tant que des
résultats définitifs ne sont point acquis.
Mais en ce sens justement la grande date du 7 novembre 1917
permet déjà – mieux : impose déjà – à tous ceux qui ont foi en les
destinées de la classe ouvrière un jugement définitif sur quelques points.
L’acquis essentiel de ce jour-là, de ces années-là, tient
dans le fait même que, pour la première fois dans l’histoire, les travailleurs
surent remporter
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