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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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colonel amène 42 gendarmes, le
contrôleur civil a amené ses spahis. La mine en état de siège. Pas un incident
ne s’est encore produit quand ces autorités, prévoyantes, donnent l’ordre au
service médical de préparer les brancards, les lits, les instruments de
chirurgie. Les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre savent que cela
servira. Ils ont leurs idées là-dessus. Quand tout est prêt, on ferme les
principales issues de la cour et on commande le feu. Voyez comme il est simple
de rétablir l’ordre. Les grévistes surpris et affolés se sauvent. On continue à
tirer dessus. Cela fait 17 morts et 34 blessés, dont 11 ont reçu plusieurs
blessures.
    (Précisons que, du côté de la troupe, un officier a reçu un
coup de bâton, un gendarme a été légèrement blessé par le ricochet d’une balle
tirée par un de ses camarades, un gendarme s’est fracturé la jambe en
poursuivant un gréviste, un autre a reçu un coup à la cuisse… C’est tout.)
    Les autorités tentent ensuite de faire décorer par le bey
les 42 gendarmes qui se sont ainsi distingués. Le bey refuse, ne tenant pas à
se faire exécrer de ses sujets [129] .
    S’il y avait, après ces choses, une opinion capable de
réagir, le simple mais bouleversant article que vient d’écrire Emmanuel Mounier,
« Retour de Tunisie » (dans le n° 56 d’
Esprit
, mai [130] ) n’aurait pas eu
un retentissement moindre qu’autrefois le
Voyage
au Congo
d’André Gide [131] .
La meilleure explication du drame de Métlaoui, je la trouve en réalité chez
Mounier. Lisons : « Le premier mal de la Tunisie, celui dont en effet
les conséquences les plus violentes pourraient un jour sortir, celui qu’on
accuse les politiciens d’inventer de toutes pièces, est une misère affreuse. »
Mounier la raconte chiffres à l’appui. De ces chiffres émane un sentiment d’effroi…
Conclusions : « On estime à 15 francs par jour le salaire simplement
vital d’une famille moyenne de ce pays, trois enfants… L’ouvrier des huileries
du Sahel gagnait, en juin 1936,6 francs par jour pour 12 heures de travail de
jour et de nuit… » Passons sur l’impôt. Passons sur l’usure. Passons sur
les détails qui signifient l’oppression, la crasse, la faim, le désespoir…
« Il ne faut pas s’étonner que, dans ces conditions, les médecins estiment
à 2 500 000 le nombre de sous-alimentés dans le pays. Des hommes
meurent lentement de faim par centaines de mille en Tunisie. » Deux
millions cinq cent mille affamés, cela doit faire (je n’ai pas de statistiques
sous la main) entre la moitié et le tiers de la population indigène d’un des
plus beaux pays méditerranéens… « Les capitalistes cependant gardent leur
bonne humeur. La Tunisie n’est pas pour eux un peuple d’hommes, elle est un
pays d’exportation… Ils n’ont pas une mentalité d’empire, ils ont une mentalité
de comptoirs. » Cher Emmanuel Mounier, laissez-moi vous dire qu’ils ont, ces
capitalistes, une mentalité capitaliste, tout bonnement. Je sais bien que, m’entendant
parler ainsi, vous allez me reprocher, tout au moins en votre for intérieur, de
verser dans le schématisme marxiste. Et vous aurez tort. Toute connaissance se
réduit à des formules ou schémas, pour la commodité de l’intellect. La
connaissance du mécanisme de l’exploitation moderne de l’homme par l’homme, telle
que nous la devons à Marx, nous permet de comprendre à fond le comptoir, l’homme
du comptoir, ses compères l’administrateur et le fusilleur et, d’autre part, l’indigène,
la condition de l’indigène. Vous-même, quand vous donnez cette sobre analyse de
la misère tunisienne, vous attestez avoir beaucoup appris à l’école de Marx…
    Dans l’empire colonial de la France, la Tunisie, située au
cœur de la Méditerranée, voisine de la Tripolitaine italienne [132] , comptant au
sein de sa population une forte minorité italienne, peut être appelée à jouer
un rôle de premier plan. Les durs bourgeois qui, pour persévérer dans l’enrichissement,
lui infligent ce traitement, accumulent contre leur classe, contre leur pays, contre
la civilisation tout entière, des explosifs d’une puissance insoupçonnée…

Musée du soir…
    12-13 juin 1937
    Les cafés de Montparnasse flambent doucement dans la nuit d’été.
Que d’intelligence s’y consume stérilement aux terrasses du boulevard, en
propos alertes, vains, parfois profonds. Celui-là

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