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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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de
la mort, parce que le vrai courage est un désir de vivre et de vaincre. L’éducation
militaire réussit à inculquer un courage de parade et de volonté à de jeunes
gens dressés dès l’adolescence et l’on voit un jour les Saint-Cyriens [121] marcher, gantés
de blanc, sur des mitrailleuses allemandes. Nous n’avons pas besoin de ces
effets-là, camarade. Notre courage est plébéien, prolétarien. C’est celui des
travailleurs qui se battent par nécessité pour vivre et non pour se faire tuer.
Le risque, ils l’acceptent, la peine ne leur fait pas peur, la douleur non plus,
la mort moins encore… Mais ils veulent vivre. Si on craint quelque chose, profondément,
c’est plutôt la mauvaise blessure, la mutilation. Et encore : le massacre
des proches. En ce sens-là, les fascistes ont commis de grandes fautes quand
ils ont bombardé les villes : le massacre des enfants trempe le courage
des hommes…
    – Garderons-nous Madrid ? » demandai-je.
    Il y eut dans sa voix une sorte de réprobation.
    « Les villes qu’on veut défendre sont imprenables. Si l’on
avait su vouloir à ce moment, ils n’auraient pris ni Irun, ni Saint-Sébastien [122] , ni Tolède. Ni
Malaga [123] ,
livrée par la trahison et l’incurie. Madrid ne sera jamais prise si on veut
vraiment la défendre. La preuve en est faite.
    »… Gagnerons-nous la guerre ? Nous devons la gagner. Je
suis moins sûre que nous gagnions la révolution. C’est là le grand problème qui
peut nous valoir de terribles déchirements. Il est certain qu’on ne pourra plus
reprendre aux paysans les terres qu’ils ont occupées et cultivent. Certain qu’il
faudrait d’effroyables saignées pour arracher aux ouvriers les droits qu’ils
ont acquis en fait dans la production. Songez qu’en Catalogne la plupart des
entreprises sont socialisées et gérées par les syndicats. (À Valence, il est
vrai, on a fait peu de choses dans ce sens ; et en Euskadi, rien). Les uns,
donc, veulent pousser les conquêtes de la révolution, disant que les
travailleurs ne fourniront pour la guerre victorieuse un effort total que s’ils
ont la certitude d’y gagner quelque chose. Les autres – ce sont surtout les
libéraux et les communistes officiels – soutiennent qu’il faut gagner la guerre
avant de parler de transformations sociales… Mais tout le monde convient qu’on
ne peut pas revenir au passé, c’est-à-dire au régime antérieur au 19 juillet
1936. La démocratie espagnole sera tout autre… »
    J’hésitai un moment à poser la question qui me tenait à cœur ;
mais le visage que j’avais devant moi était si calme, si ferme, avec son modelé
d’usure et de fatigue, que je me hasardai :
    « Comment Pepe a-t-il péri ?
    – Pepe ?… Il faut vous dire que mon mari était en tout
très consciencieux. Voulait-il tailler un bout de bois ? Ce devait être à
la perfection… Comme nous étions les plus instruits d’un bataillon improvisé
tout au début, nous prîmes ensemble le commandement, sur la demande des
camarades, bien entendu. Lui, commandant, moi, son second. Les hommes ne
savaient pas se battre, fort peu d’entre eux avaient passé par le service militaire.
Pleins de bonne volonté, ils lâchaient pied tout de même, au premier copain qu’ils
voyaient tomber. Alors, pour donner l’exemple, Pepe qui devait bien maîtriser
ses nerfs, puisqu’il était le chef, marchait toujours le premier. Après, il
était rompu de fatigue. La détente nerveuse, me disait-il. Eh bien, dans trois
ou quatre opérations, il s’était beaucoup exposé avec la chance d’en sortir
indemne. Nous reçûmes l’ordre d’attaquer une position bien fortifiée. Pepe me
dit : “Cette fois encore, il faut que je parte avec les premiers ; tu
comprends, il faut ça pour que j’acquière l’autorité nécessaire. Après ce
coup-ci, je pense que je pourrai commander avec la certitude d’être obéi…” Il
fut tué tout au début de l’engagement, il fut le seul tué ce jour-là, car la
position était inabordable de ce côté… J’ai dû prendre le commandement à sa
place… Et c’est pourquoi il faut que je reparte dans quelques jours…
    Vraiment, Paris m’attriste trop. Ah, je vois mieux pourquoi
à cet instant. Comment tous ces gens peuvent-ils vivre de leur vie coutumière
sans songer qu’un peuple entier s’exalte, souffre, saigne, meurt et renaît, à
côté d’eux ? Voilà ce que je ne peux pas comprendre… »

La fin d’une

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