Retour à l'Ouest
devient
l’empoisonneuse des cerveaux. À un point tel que l’on se demande si l’invention
de l’imprimerie n’est pas en train de se retourner contre l’homme. – De fait, il
en est bien ainsi, dans une forte mesure. Comme toute la technique, l’imprimerie
et la presse finiront par se retourner implacablement contre l’homme si la
forte main des travailleurs n’y met bon ordre, je veux dire ordre socialiste. –
Ouvrons plutôt cet étonnant numéro du
Crapouillot
consacré par Jean Galtier-Boissière au Bourrage de crâne [147] . Véritable anthologie
du cynisme, de la bêtise, du mépris de l’homme. Dès la couverture, les
fac-similés d’inoubliables manchettes de grands journaux nous éclairent.
Le Matin
du 24 août 1914 publie en
capitales éclatantes que « Les Cosaques sont à cinq étapes de Berlin ».
En réalité, les Uhlans n’étaient pas à cinq étapes de Paris.
La Presse
du 16 mai 1922 proclame en
première page : « Nungesser et Coli ont réussi ». Et voici des
détails sur l’arrivée des deux aviateurs à New York : « L’atterrissage
se fit dans d’excellentes conditions… Nungesser et Coli, après s’être posés sur
l’eau, restèrent un instant immobile dans leur appareil, comme insensibles aux
acclamations… Puis ils se levèrent tous deux de leur siège et s’embrassèrent… »
Partis pour tenter de traverser l’Atlantique, les deux aviateurs étaient en
réalité tombés en mer. Leurs cadavres noyés flottaient quelque part, pendant
que des marchands de papier salement imprimé préparaient cette édition spéciale
pour ramasser des gros sous…
On croyait jusqu’ici que la guerre de 1914-1918 avait été la
grande époque du bourrage de crâne. Les guerres présentes nous l’ont ramené
fortifié et comme rajeuni.
Le Jour
annonce
le 8 novembre 1936 : « Les Nationaux sont à Madrid… ils font aujourd’hui
leur entrée dans la ville. »
Le
Petit Parisien
écrit ce même soir, sur un ton sage : « La
prise de Madrid ouvre une nouvelle phase dans la guerre-civile… » (Cela me
fait penser que quelques jours avant l’exécution de Toukhatchevski,
L’Humanité
annonçait sobrement des « mutations
dans l’armée rouge » ; et d’autres feuilles communistes démentaient
les rumeurs calomnieuses sur la disgrâce et l’arrestation du maréchal rouge…)
Nous ne relevons ici que les énormités touchant à l’information.
Il en est d’autres qui nous mettent en tête-à-tête avec cette puissante et
malfaisante personne qui s’appelle la Bêtise. La Bêtise imprimée, imposée, venant
nous apprendre à penser et sentir. En voulez-vous des perles ? Voici :
« Plus les armes se perfectionnent, plus le nombre des
morts et des blessés diminue. » (
Le
Temps
, 4 août 1914.)
Un carabinier belge raconte :
« Je ne prends plus mon fusil, je pars avec une tartine,
lorsque les Allemands la voient, ils me suivent. » (
L’Intransigeant
, 17 août 1914.)
« Nos soldats se f… des gaz asphyxiants. » (Marcel
Hutin,
L’Écho de Paris
, 16 octobre
1916.)
Sur la révolution russe :
« Les Maximalistes réquisitionnent les jeunes filles. »
(
Le Matin
, 19 avril 1919.)
« Les bolcheviks… sacrifient les enfants des classes
bourgeoises et se livrent à des orgies effrénées. » (
Le Matin
, 2 mars 1920.)
« Petrograd se soulève contre les Soviets. Les troubles
augmentent à Moscou. » (
Le Matin
,
12 octobre 1919.)
C’est le moment précis où la grande Commune encerclée va
vaincre à la fois sur trois fronts : à Petrograd, dans l’Oural, dans le
Midi.
Sur la guerre d’Ethiopie :
« La riposte préventive italienne a été prompte. »
(
Le Petit Parisien
, 5 octobre
1935.)
« Qu’allait faire cette ambulance à proximité du front ? »
(
Le Messein
, 3 janvier 1936.)
Sur la guerre civile en Espagne :
« Un État soviétique s’est formé dans le Midi de la
France, capitale Perpignan… » (Dépêche officieuse allemande, datée de
Paris, le 11 janvier 1937 par le
Deutsche
Nachrichten Buro
.)
« Les Rouges ont détruit en quarante-huit heures tous
les trésors artistiques de la Catalogne. » (
Le Matin
, 31 juillet 1936.)
« Guerre en famille. Des jeunes filles apportent des
fleurs aux combattants. On parle, on rit, on chante. » (Vaillant-Couturier,
L’Humanité
, 28 juillet 1936.)
Galtier-Boissière termine son anthologie sur cette phrase
juste : « … le débourreur de crâne joue un rôle
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