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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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Pilniak avait tiré de ses carnets
la matière d’une nouvelle, publiée en son temps, en traduction française, dans
Europe
[152]
 :
« Bois des îles ». Une
sorte de gémissement y montait de la terre russe. On y voyait d’anciens héros
de la guerre civile, réduits à l’ivrognerie et au vagabondage, évoquer les
temps épiques où ils prenaient des villes… Personne ne put lire cette œuvre en
russe, mais, sur un signal, la presse soviétique tout entière la dénonça comme
un libelle contre-révolutionnaire. Pilniak, littéralement traqué, dut faire
amende honorable. Il protesta de son optimisme et de sa loyauté. Sincèrement du
reste, car il aime trop la Russie et la révolution pour ne point leur garder, à
travers les plus amères visions, une confiance et une loyauté absolue. Le
Comité central du parti communiste exigea de lui qu’il remaniât l’œuvre
condamnée dans un sens conformiste. Il y consentit. De ce labeur ingrat, contrôlé
par des censeurs, sortit un roman acceptable (pour les magisters de la bureaucratie) :
La Volga se jette dans la Caspienne
,
et dont un critique averti put écrire : « Ce livre crie le mensonge
et murmure la vérité. »
    Pilniak fut lié d’amitié à l’essayiste bolchevique Valerian
Polonski [153] ,
mort il y a quelques années, du typhus, sur la route de l’exil ; il fut
lié d’amitié au romancier et critique bolchevique Voronski ,
un des écrivains les plus remarquables de l’URSS, disparu depuis longtemps dans
on ne sait quelles prisons ; il a connu de près la plupart des dirigeants soviétiques
de naguère et bénéficié même, en certaines circonstances, de la faveur
personnelle de Staline. Mais aujourd’hui que s’en vont, chassés et traités en
ennemis publics, les hommes de la révolution d’Octobre et ceux des premières
années du stalinisme, un Pilniak, qui appartient à la fois à ces deux générations,
doit être éliminé. Se bornera-t-on à le boycotter et à le déporter ? L’enverra-t-on,
comme tant d’autres, dans un camp de concentration ? Ira-t-on jusqu’à le
tuer ? D’ici longtemps, sans doute, nous n’en saurons rien. Le plus grand
peut-être des écrivains soviétiques d’aujourd’hui, l’un des plus originaux et
des plus puissants des écrivains du monde, vient de disparaître à Moscou, dans
le plus inquiétant mystère : nous ne savons rien de plus.
    Le comte Alexis Tolstoï , romancier
bien-pensant sous l’ancien régime, émigré blanc de 1917, rallié aux Soviets en
1923, le remplace avec désinvolture à la tribune des congrès…

Le sens de l’histoire
    7-8 août 1937
    Nous vivons dans la durée. Le monde, autour de nous, en nous,
le monde dont nous faisons partie nous-mêmes n’est point stable : il passe,
se transforme, devient… Héraclite enseignait que « tout coule » et
son image du fleuve éternel est demeurée puissante dans nos esprits. Georges Sorel , naguère, fit une fortune au mot devenir :
le devenir social [154] .
Rien n’est jamais fini, sauf ce qui meurt (ou pourrit : c’est plus grave) pour
faire place à des formes nouvelles en lesquelles la vie retrouvera de nouvelles
plénitudes… Mais au fond de ce flux, il y a une continuité, une permanence, quelque
chose de semblable à une volonté irrésistiblement impérieuse ; et de cette
semblance, les philosophes n’ont pas manqué de tirer un beau parti. L’impérissable
se mêle ainsi au périssable ou plutôt se révèle derrière lui, comme étant la
plus haute réalité. Les formes passent, l’essentiel perdure et nous avons même
le sentiment qu’il s’élève. La vie naît sur une planète encore brûlante : puis
dans les cellules vivantes, informes et quasi désarmées contre les éléments, une
différenciation s’opère, des ganglions de matière grise apparaissent… Quand
auront passé des trillions de siècles, au bout de la chaîne ainsi commencée
dans le mystère des premiers êtres pourvus d’un embryon de système nerveux, il
y aura les cerveaux de Descartes et d’Einstein. Élisée Reclus disait :
« L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même. » La nature
saura enfin qu’elle existe, elle va s’étonner de sa splendeur, s’affoler
elle-même de ses cruautés, désespérer quelquefois devant ses propres drames… Nous
en sommes là.
    Le drame social appartient à la nature humaine. Nous y
sommes tous plongés, que nous le voulions ou non. Nous sommes les jouets de

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