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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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l’entre-temps, le gouvernement pense à autre chose ou si,
d’expédient en expédient, on peut tenir assez longtemps, tout va bien. Mais il
peut arriver qu’après un effort irrationnel et faussé à la base la production
tombe désastreusement, juste à l’heure où les commissaires du peuple s’en
occupent. Il peut arriver qu’après s’être passé de subsides on soit au bout du
rouleau, contraint d’avouer que l’on ne peut plus continuer et de révéler aux
commissions d’enquêtes tout un pot aux roses. Et voilà comment un grand
administrateur se transforme, du jour au lendemain, en saboteur trotskiste (sans
que le trotskisme qu’il ignore et redoute comme la peste y soit pour quelque
chose), ennemi du peuple, complice de la Gestapo, et cætera. Pour éviter cette
fin triste, il va de soi que notre directeur accumule les expédients, les
truquages et les mensonges ; et que tous ceux, ingénieurs, collègues, collaborateurs
du plan, qui travaillent sur ses rapports font du beau travail ! – Dites-vous
bien qu’il en est à peu près ainsi dans toutes les entreprises, à tous les
échelons de la hiérarchie économique, et vous saisirez l’ampleur du mal.
    Sa source est dans le despotisme bureaucratique qui interdit
toute objection, toute critique, toute manifestation de la personnalité du
producteur, toute manifestation d’opinion. Le remède serait dans la démocratie
industrielle, mais qui ne saurait vivre sans une certaine démocratie en général,
c’est-à-dire sans liberté d’opinion tout court. Si l’air frais circulait
librement dans la production comme ailleurs, l’écran de mensonge et de
truquages qui dissimule la réalité aux yeux des dirigeants et, dès lors, compromet
leurs moindres démarches, disparaîtrait. Il suffirait pour cela de rendre aux
travailleurs – ouvriers, techniciens, directeurs – le droit élémentaire de dire
ce qui est, ce qu’ils voient, ce qu’ils pensent ; le droit de constater qu’une
directive est mauvaise quand elle ne répond pas aux faits, qu’une statistique
est fausse quand elle trahit les faits, qu’une motion d’enthousiasme ne saurait
suppléer à l’insuffisance des matières premières, des crédits, de la main-d’œuvre
ou du temps… La production et le socialisme y gagneraient exactement tout ce qu’ils
risquent de perdre en ce moment, là-bas : un monde.

Le Bourrage de crâne *
    24-25 juillet 1937
    Si l’on vous demandait combien de variétés de mensonges vous
connaissez et quelle est la plus pernicieuse, vous demeureriez probablement
perplexe. Je ne prétends pas vous renseigner de façon sûre et complète sur ce
point important ; mais je vois : d’abord le mensonge tout court, tout
innocent, tout bénin, qui consiste à dire autre chose que la vérité. Ensuite :
la diplomatie, la statistique, le montage photographique. Des puissances
signent un pacte de collaboration, disons le pacte à quatre. Cela veut dire qu’elles
vont se nuire désormais de leur mieux. L’agence soviétique Tass nous annonce
une récolte éblouissante : cela veut dire que dans un an on fusillera de
pauvres bougres, qualifié saboteurs, parce que cette même récolte se sera révélée
insuffisante. Un journal nous offre, sous de larges chapeaux de paille, une
collection des faces hilares, avec cette légende : « Les Forçats
rient aux îles du Salut » et cette énormité est vraie, après tout : il
arrive aux forçats de rire dans leur enfer.
    Il y a encore une forme du mensonge particulièrement riche
parce qu’elle combine toutes les autres en y ajoutant l’information (ne souriez
pas…), l’imagination et le grand tirage. Elle s’appelle le bourrage de crâne et
dépasse de loin en capacité de nuire tous les autres procédés de truquages et d’escroqueries
psychologiques. La chose est vieille comme la presse, le mot, un mot magnifique
par sa précision, est né pendant la guerre, à une époque où la presse s’attachait,
avec un zèle sans bornes, à « bourrer » de sornettes les crânes des
hommes qu’il fallait amener à tuer et se faire tuer pour que les oligarchies
capitalistes rivales pussent refaire la carte du monde (de manière à
recommencer plus tard…).
    Par le bourrage des crânes, la presse qui pourrait être, entre
les mains d’une collectivité libre, soucieuse de ses intérêts spirituels, un
moyen d’éducation et un précieux stimulant à la vie intellectuelle et morale,

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