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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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l’histoire
et c’est pourtant nous qui la faisons. N’est-ce point énoncer des vérités
premières que de le dire ? Et pourtant, s’il est un sens dont l’absence
étonne chez la plupart des hommes, c’est bien celui du devenir que rien ne
saurait empêcher. Le rythme des transformations du monde est, il est vrai, parfois
assez lent par rapport à celui de nos existences individuelles. En mettant un
peu de complaisance à nous leurrer, nous pourrions presque admettre par moments
l’hypothèse d’un monde stable. Des intérêts tenaces s’y réfugient ; la
faiblesse et la sottise aussi. Parlez donc aux gens de tout ce qu’il faut
détruire audacieusement, reformer de fond en comble, renouveler, rebâtir pour
que le monde devienne habitable, – et vous les entendrez répondre :
« Il en a toujours été ainsi, il en sera toujours ainsi. » « Allez,
la vieille bâtisse durera encore plus que vous et moi. » « Rien à
faire, la nature humaine est comme ça… » « Le sentiment de la propriété
privée, monsieur, nous est inné… » L’histoire nous apprend que les formes
de la propriété ont maintes fois changé au cours des siècles ; la nature
humaine, elle-même, s’est grandement modifiée. De l’ancêtre velu, front bas et
mâchoire pesante, au front noble et sévère de madame Curie, quel chemin
parcouru en dépit des massacres continués ! Voyez la profonde leçon d’optimisme
que nous vaut ce simple coup d’œil jeté sur les siècles !
    Les hommes qui ont aujourd’hui quarante-cinq ans n’ont pas
besoin de regarder si loin en arrière. Ils ont été les témoins – et les acteurs
– d’événements assez bouleversants pour inculquer aux générations présentes le
sens de l’histoire. Nous avons connu le monde relativement stable d’avant
guerre, où le franc ne flottait pas, où la classe ouvrière se battait pour les
trois huit et le suffrage universel… Nous avons vu s’effondrer comme châteaux
de cartes, par la guerre qu’ils avaient voulue, les Empires les plus
totalitaires et les mieux organisés de ce temps-là : Allemagne, Russie, Autriche.
Nous avons vu, dans un immense pays d’Eurasie, les travailleurs conduits par
des intellectuels dévoués au socialisme prendre le pouvoir, exproprier les
classes riches, vaincre les interventions étrangères, former des armées, eux
qui ne voulaient que déclarer la paix à l’univers, vaincre contre toutes les
prévisions et toutes les puissances, remettre la production en marche, reconquérir
un minimum de bien-être, s’ouvrir et nous ouvrir les voies d’un avenir qui, la
veille, pouvait paraître utopique… Nous avons vu les réalisations les plus
grandioses, soulevant les plus vastes espérances, surgir de l’oppression, de la
défaite, des hécatombes… Nous l’avons vu de nos yeux et nous y avons mis la
main…
    L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Elle ne s’arrêtera
jamais ; les nuits semblent y alterner avec les jours, les temps de la
désolation et du mépris avec les temps de la confiance et de l’espoir. L’horizon
s’est assombri, il est vrai, sur la révolution socialiste victorieuse en Russie.
Des régimes totalitaires se sont installés entre la Baltique et la Méditerranée.
Ils saignent sous nos yeux l’Espagne. Mais est-ce fini ? Tout continue. Chez
ceux qui fléchissent et se découragent éveillons le sentiment de l’histoire. Hitler
s’est exclamé un jour : « Le nazisme régnera mille ans ! »
– Mille ans ! Pauvre dictateur grisé de mots ! Que restera-t-il de
son ombre dans un demi-siècle ?

Adieu à un ami [155]
    14-15 août 1937
    1921, Moscou. Les échos du canon de Cronstadt sont encore
dans les esprits. On ne s’habitue pas à manger le premier pain blanc de la NEP.
La grande Commune meurtrie semble entrer en convalescence. Nous nous promenons,
par les beaux soirs d’été, dans la foule murmurante des boulevards. Les arbres
nous entourent de sombre fraîcheur. Pas une lumière, car l’éclairage manque
encore. Mon compagnon arrive de Barcelone ; et là il rentrait du Caire. Délégué
de la CNT auprès de l’Internationale communiste ; il est jeune, mince, avec
une abondante chevelure bouclée, un regard joyeux cerclé d’or, une voix bien
timbrée qui contient du rire et, déjà, de la fermeté. Andrés Nin m’explique qu’il n’est point anarchiste, mais rigoureusement syndicaliste. Pas
d’utopie dans sa pensée, le seul souci de

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