Retour à l'Ouest
d’information
à peu près digne de sa tâche. Mais ceux qui réduisent la diplomatie à la
duplicité réduisent aussi la presse au mensonge. Il faut donc chercher la
documentation sur ces choses dans des publications quasi confidentielles. Le
Carnet du diplomate inconnu
, rédigé à
Paris avec un soin remarquable, m’apporte sur l’intervention fasciste italienne
en Espagne un dossier impressionnant, exclusivement constitué d’aveux découpés
dans la presse de Mussolini. Feuilletons-le ; nous comprendrons mieux
ensuite pourquoi les travailleurs d’Espagne, en dépit du sang versé à flots, en
dépit de l’héroïsme prodigué, en dépit des plus beaux exploits, n’ont pas
encore vaincu ; et ce qui, en menaçant leur avenir, nous menace tous…
L’offensive contre Bilbao a été menée par des légionnaires
italiens, les Flèches noires, sous un commandement italien, à la suite d’un
ordre du
Duce
qui entendait
venger ainsi la défaite subie par ses troupes à Guadalajara. La
Stampa
de Rome parle le 15 juin du rôle
joué dans la bataille par les « cinquante trimoteurs de bombardement de l’aviation
légionnaire ». Une dépêche de Rome à
Paris-Midi
(27 mai) exprime ainsi le sentiment des dirigeants fascistes : « Bilbao
conquise, ce serait la première fois depuis l’Empire romain que les légions
romaines arriveraient à l’océan où règne l’Angleterre ». Le 18 juin,
M. Virginio Gayda, journaliste officieux [157] , déclare dans le
Popolo d’Italia :
« Aux
combats victorieux (du front basque) participent avant tout, avec des fonctions
vitales, les brigades des Flèches noires, composées, on le sait, d’Espagnols et
de volontaires étrangers, en grande partie Italiens, sous commandement italien. »
En somme, Mussolini a jeté le masque ; il serait même
déplacé de l’accuser encore d’hypocrisie. La presse de la péninsule publie les
listes des morts du front d’Espagne. Un article du
Popolo d’Italia
(du 17 juin), annonçant que « Les
morts de Guadalajara seront vengés » a été affiché dans tous les locaux du
parti fasciste : c’est que, non signé, il est de la plume du
Duce
. La menace s’y mêle à une jactance
bouffonne et à ces rhétoriques de la haine que les tyrannies totalitaires ont
mises à la mode. Le
Duce
s’attache
à démontrer que Guadalajara ne fut pas une défaite, mais « au contraire… une
victoire italienne que les éléments ne permirent pas d’exploiter à fond… »
Si « un repli exécuté dans un ordre parfait fut présenté comme une
catastrophe », la faute en est à la presse des pays démocratiques dont l’attitude
est ainsi dépeinte :
« Les hyènes au visage humain se jetèrent sur le sang
versé de la jeunesse italienne comme s’il s’était agi de whisky, et elles
perdirent tout reste de pudeur, comme il arrive aux lâches et aux canailles
quand la peur est passée ».
La Stampa
du 20 juin déclare : « Pour nous, Italiens, la conquête de Bilbao est
un motif de juste orgueil ; c’est une page extrêmement lumineuse qui s’ajoute
à la tradition de gloire guerrière de notre terre ». Désormais, par ordre
supérieur, les noms des légionnaires tombés en Espagne seront honorés comme
ceux des morts d’Ethiopie…
Enfin, Bilbao prise par les nationalistes, – c’est-à-dire
par les alliés de l’étranger contre la nation, – le général Franco adresse à
Mussolini une dépêche de remerciements de vassal à suzerain, dont voici le
texte :
« Au moment où les troupes nationales entrent
victorieusement à Bilbao, je vous envoie mon salut le plus enthousiaste, ainsi
que celui de
cette armée orgueilleuse d’avoir
répondu à la
confiance placée
en elle par son peuple et par son Duce,
en vous priant de bien
vouloir communiquer à S. M. le Roi-Empereur la nouvelle de ce succès, ainsi
que de lui exprimer les meilleurs sentiments du peuple espagnol et du
généralissime Franco. »
Un article du
Duce
annonce alors, après la liquidation prochaine du front nord, l’offensive
décisive contre Madrid. « L’Italie fasciste n’a pas été neutre, – écrit
Mussolini, – elle a combattu et la victoire sera aussi la sienne. » Le
correspondant du
Temps
à Rome
note à ce propos le 26 juin : « Le
Duce
abat son jeu sur la table. C’est un jeu découvert, dont toute diplomatie paraît
absente. »
C’est un jeu qui peut mener loin. Ne nous en dissimulons pas
la gravité : deux
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