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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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la jeune génération révolutionnaire, pour laquelle la carte du
parti symbolisait à la fois une discipline, un dévouement total, le sens d’une
vie consacrée à un noble service, la marche au socialisme. On se suicidait en
ce temps-là pour ne point survivre à l’exclusion du parti. Bézymenski fit du
théâtre : des pièces à thèse, bien entendu, passionnées d’abord, officielles
ensuite. Dans les clubs ouvriers, aux congrès du parti, on le voyait, délégué
par les jeunesses, – le
Komsomol
–, se dresser à la tribune pour proclamer d’une voix habile, bien timbrée, qui
scandait énergiquement et juvénilement les mots, la grandeur de l’époque… Il
refaisait sans fin la louange du grand parti, l’appel à l’héroïsme quotidien, le
panégyrique versifié du Chef…
    Et les années passaient. Presque tous ses amis subirent la
persécution, ayant quelque peu discuté ou pensé… Bézymenski s’adaptait, louvoyait,
demeurait le poète officiel, une sorte de lauréat permanent, avec une
production assez égale, moins originale que celle d’un Maïakovski, mais
beaucoup plus conforme aux besoins de l’agitation. Sa réputation grandissait, les
journaux lui payaient au prix fort chaque strophe, on le tirait à millions ;
il était à la fois de la
Pravda
et des
Izvestia
, les deux
quotidiens de l’État. À vrai dire, la poésie ne comptait plus guère dans son
œuvre, dont toute spontanéité s’était évaporée. Mais parmi les gens de lettres
du service de la propagande, il se plaçait au tout premier rang, par la
conviction, le zèle et le talent.
    Depuis des années, nous ne nous serrions plus la main. Je ne
lui pardonnais pas, en mon for intérieur, d’avoir lâché tous ses camarades de
naguère, emprisonnés ou déportés. Je le trouvais trop habile. Les vers qu’à l’occasion
des procès successifs il publiait dans les journaux pour réclamer, selon les
circonstances, la peine capitale pour des ingénieurs, des vieux socialistes ou
des compagnons de Lénine m’écœuraient. Les plus navrants de ses vers-là, il les
donna, il y a deux mois, à l’occasion de l’exécution du maréchal rouge
Toukhatchevski, « cette vermine de Toukhatchevski », clamait-il, – déjà
suspect lui-même à ce moment, déjà menacé, déjà réduit sans doute à rimer ça
pour tenter d’échapper par la surenchère au glaive suspendu sur sa propre tête…
    Il ne devait pas y échapper.
    … C’est fait. On dit en Russie que l’exclusion du parti
signifie « la mort politique ». On sait qu’elle entraîne pour l’écrivain
ou le poète l’impossibilité de publier désormais une ligne. Le plus souvent, pour
le militant, elle entraîne aussi l’internement dans un camp de concentration… Bézymenski,
chassé du parti, il y a quelques jours, disparu aussitôt, est fini. Le plus
remarquable des poètes communistes vient d’être supprimé d’un trait de plume. Et
ce n’est dans le grand drame où disparaissent deux générations révolutionnaires,
l’héroïque de 1917-1926 et la bureaucratique de 1926-1936, qu’un épisode parmi
des milliers d’autres…

Les « Flèches noires » à Bilbao *
    28-29 août 1937
    On sait que l’Italie s’est engagée, comme les autres
puissances, à ne point intervenir dans la guerre d’Espagne. On sait aussi que
les procédures de la non-intervention lui ont surtout servi à dissimuler, faciliter,
imposer, une intervention de plus en plus massive, devenue ces derniers temps
terriblement efficace. On sait enfin qu’elle n’est point seule à se comporter
de la sorte, en d’autres termes à ne souscrire des engagements solennels que
pour les violer aussitôt en plein jour. Il faudrait remonter loin dans l’histoire
pour retrouver tant de cynisme au service de tant d’insolence ; et cela
nous montre combien profonde est la régression morale accomplie par les États
totalitaires dans les rapports de nations à nations. On avait mis des siècles d’efforts
à atteindre à un certain minimum de bonne foi dans l’exécution des traités ;
il fallait tout de même de véritables cataclysmes sociaux pour qu’ils
devinssent, comme en 1914, des « chiffons de papier… ». Ces résultats,
acquis au XIX e siècle par la civilisation capitaliste à son apogée, sont
aujourd’hui perdus.
    Je ne veux m’arrêter, pour l’heure, que sur des faits
patents qui devraient être largement connus s’il y avait une grande presse

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