Retour à l'Ouest
puissances européennes formidablement outillées ont
ouvertement entrepris de saigner un peuple pour lui imposer, avec la complicité
du gros des classes riches, un despotisme totalitaire. Si elles y arrivaient, se
tiendraient-elles pour satisfaites ? Pourquoi s’arrêteraient-elles en si
beau chemin ?
Considérons cet immense péril bien en face. Mais gardons
aussi le sens de l’histoire. L’histoire continue son cheminement. Elle en a vu
s’écrouler, des colosses aux pieds d’argile ! Les régimes totalitaires
sont fondés à la fois sur l’oppression des masses et sur l’oppression de la
personne ; en ce sens, ils vont à l’encontre de l’intérêt vital des
collectivités et de l’individu ; ils portent dès lors leur condamnation en
eux-mêmes. Quelles que puissent être les souffrances qu’il leur appartient
encore d’infliger à l’humanité, ils passeront ; et le jour viendra où ils
auront à payer – terriblement – leurs dettes…
La victoire de l’Espagne républicaine est-elle possible ? *
4-5 septembre 1937
Posons-nous la question sans ménagements. Aussi bien
hante-t-elle la conscience des militants et lui ai-je déjà entendu donner, dans
l’intimité, des réponses pessimistes. Après Bilbao, après Santander, la
victoire de l’Espagne républicaine est-elle encore possible ?
… Cette victoire était facile, tout au début de la sédition.
Mais le gouvernement démocratique, qui était tout de même un gouvernement
bourgeois, hésitait à armer les masses laborieuses et à leur donner les « réformes
de structure » capitales pour lesquelles ouvriers et paysans se furent
battus de toute leur âme. Pendant ce temps, les trimoteurs Caproni arrivaient
par dizaines au Maroc espagnol… Nombreux, ardents, animés d’un esprit
révolutionnaire dont les mineurs socialistes des Asturies, les ouvriers
syndicalistes et anarchistes de Catalogne, les paysans communisants de l’Andalousie
avaient donné maintes preuves, les travailleurs pouvaient et devaient encore
vaincre promptement un, deux, trois mois plus tard. Il semble bien que la
duperie de la non-intervention fut le facteur décisif de leur échec. Sans doute
manquaient-ils de discipline et d’organisation militaire ; mais, à ce
moment, leur moral était tel qu’en politique intérieure, ils eussent imposé
tout ce qu’ils eussent voulu ; et c’est même cette conviction qui les
empêcha de faire la loi. Ils se sentaient les maîtres, ils crurent pouvoir
différer de se montrer tels pour
d’abord
gagner la guerre
. Œuvre difficile que d’improviser une armée. On
avait les hommes, on avait la foi ; on manquait de poudre, de cartouches, d’équipements,
d’artillerie, de tout. À ce moment précis, l’accord de non-intervention ferma
brusquement les frontières pour le gouvernement légal et pour lui seul ; car
aucun contrôle effectif n’existant, l’Allemagne et l’Italie continuèrent leurs
envois d’hommes et de matériel. C’était bien, sous les yeux du monde, la plus
insultante comédie qui se puisse concevoir.
Après deux mots de tergiversations à Moscou, le matériel
russe intervint enfin, dans une mesure beaucoup plus faible, mais salvatrice
tout de même. Seule, jusqu’alors, la République Mexicaine (qui continue, souvenons-nous-en,
une révolution populaire, surtout paysanne, victorieuse depuis un quart de
siècle) avait, au grand jour, offert à l’Espagne antifasciste un peu de
matériel de guerre. La solidarité ouvrière internationale agissait aussi. Quand
on saura tout ce qu’elle a fait, on s’en étonnera. L’action socialiste, le
matériel soviétique, la décision des militants espagnols sauvent Madrid. À ce
moment encore, fin 1936, la victoire populaire serait relativement facile. Franco
manque d’hommes. Il a vidé le Maroc, épuisé la jeunesse réactionnaire et
catholique enrégimentée dans ses troupes. Si la non-intervention dont on ne
cesse de gravement délibérer à Londres n’était violée que par la contrebande de
guerre, Franco perdait la partie. On aurait beau lui faire passer, par le Portugal,
des chars d’assaut et des mitraillettes, il n’a pas d’hommes pour s’en servir :
car il ne peut pas mobiliser les travailleurs et leur confier son armement. Des
divisions entières, amenées d’Italie, commencent alors à débarquer dans la
péninsule. M. Eden, interrogé à ce sujet à la Chambre des Communes, par un
député travailliste, répond
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