Retour à l'Ouest
sans rire à son « Très Honorable collègue »
– « qu’il n’a pas confirmation de ces nouvelles… »
Après Guadalajara, l’intervention massive des Italiens ne
fait plus aucun doute. Mussolini avoue la défaite de ses légionnaires dans un
article retentissant (et ridicule à souhait) où il déclare que ce fut, à la
vérité, une victoire, mais que les vainqueurs qui ont pris la fuite ou qui sont
morts seront vengés. Il annonce l’offensive italienne sur Bilbao et, après le
nettoyage du Nord, l’attaque suprême sur Madrid. La presse européenne feint d’ignorer
ces éclats de voix qui se répercutent par toute l’Italie.
Pourquoi ? C’est qu’en Angleterre, des éléments
conservateurs qui sont au pouvoir préféreraient nettement une Espagne fasciste
à une Espagne socialisante. Des journaux officieux tiennent ce langage :
« Le général Franco remet de l’ordre en Espagne. Il inflige la défaite à
une conspiration qui nous menace tous. » (
Morning Post
, 19 juillet). Le même jour, le
Daily Mail
écrit : « Les
meurtriers rouges ne pourront pas gagner la bataille : on ne le leur
permettra pas… » L’intervention fasciste en Italie a donc des complices
dans les milieux dirigeants de la politique anglaise et qui exercent sur la
politique française une puissante influence : car la France tient avec
raison à la collaboration britannique sans laquelle sa sécurité serait
immédiatement compromise. (La sottise des conservateurs anglais aveuglés par l’esprit
de classe me rappelle ici un mot du maréchal Foch prononcé en 1919 :
« Plutôt Ludendorff que Liebknecht ! ». Ainsi fut fait. On en
voit les suites et ce n’est pas fini… L’esprit de classe de la haute
bourgeoisie, trahissant toutes les nations, mène l’Europe capitaliste au cataclysme).
À partir de juin, un nouveau facteur joue, accroissant l’arrogance de Mussolini.
Staline vient de décapiter le haut commandement de l’Armée rouge. Les sanglantes
épurations qui se suivent sans discontinuer en URSS révèlent un régime affaibli
par des contradictions sociales extrêmement graves. Les mêmes numéros des journaux
italiens qui se félicitent de la liquidation du bolchevisme en Russie publient
que les « Flèches noires », commandées par le fameux général « Barbe-électrique »
vont à l’assaut de Santander. Tout se tient dans ces guerres d’États qui ont de
plus en plus tendance à se confondre avec la guerre des classes.
Et maintenant ? Les Asturies tiendront-elles ? Le
Nord conquis, 80 000 Italo-Allemands ne vont-ils pas foncer sur le front
de Madrid ou de Barcelone ? Possible. Remarquez que cette troupe de choc
ne suffit pas, loin de là, à conquérir la moitié la plus industrielle, la plus
peuplée, la plus organisée, la plus armée de l’Espagne. Pour vaincre, il
faudrait que Mussolini doublât, triplât, quadruplât ses effectifs en Espagne, –
et ce ne serait pas facile pour une foule de raisons. La chute de Bilbao a été,
comme celle de Malaga, le fruit d’une trahison. Celle de Santander a des causes
sociales complexes que nous ne connaissons pas bien.
La continuation de l’intervention italo-allemande dans la
péninsule dépend d’une foule de facteurs internationaux dont l’aplomb et le
cynisme du
Duce
est tout
juste l’un… La résistance de l’Espagne républicaine dépend de ses possibilités
techniques, de beaucoup améliorées en un an, et de son moral. Mais en une
pareille guerre, le moral c’est avant tout le social. C’est de l’unité
intérieure des travailleurs d’Espagne, de leur foi en l’avenir, de leur volonté
de s’ouvrir de nouveaux chemins, de leur audace à certains égards, plus
peut-être que de la stricte organisation militaire que dépend leur capacité de
vaincre. La Russie révolutionnaire de 1919 avait perdu les cinq sixièmes de son
territoire : la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le Japon intervenaient
activement contre elle. Elle pouvait paraître condamnée. Mais ses conquêtes
sociales donnaient aux masses de telles raisons nouvelles de vivre et de
vaincre qu’elles en devinrent pratiquement invincibles. Les analogies
historiques ne doivent jamais être prises à la lettre, cela va de soi. La
victoire de l’Espagne laborieuse me parait cependant, à ce jour, plus que
possible, probable, si la République sait affirmer dans son régime intérieur
une éclatante supériorité sociale – et morale – sur le
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