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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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talents de comédienne. Allongée, languide, sur son lit, d'une pâleur maladive qui devait tout à la poudre de riz, la tête reposant sur des oreillers de dentelle, elle entr'ouvrit les yeux quand Mark présenta le commandant Ellis Follett, de la marine des États-Unis.
     
    En proie à la gêne que tout gentleman ressent devant une femme malade et alitée, contrainte à recevoir la visite d'un étranger, l'officier américain se découvrit et s'inclina.
     
    – Une minute seulement, notre lady est fort dolente, prévint le docteur Kermor tandis que Gertrude Lanterbach faisait mine d'éponger le front de Varina.
     
    Alors que le marin de l'Union bafouillait des vœux de meilleure santé et se préparait à se retirer, Varina, d'une voix à peine audible, mimant un souffle court, faillit compromettre la mise en scène.
     
    – Allez dire, monsieur, à vos supérieurs, qu'à cause de la mauvaise guerre que mènent les politiciens et affairistes du Nord contre la très ancienne et aristocratique institution particulière du Sud, une dame de qualité doit quitter sa maison et sa famille pour tenter de survivre – et sans doute mourir – sur une île anglaise ! dit-elle en laissant retomber, les yeux clos, sa tête sur l'oreiller.
     
    – Cette guerre finira par une juste victoire, madame, et vous recouvrerez la santé, répondit Ellis Follett en s'inclinant à nouveau, mais plus froidement, avant de quitter la pièce.
     
    Uncle Dave jeta un regard courroucé à Varina, haussa les épaules et suivit l'Américain et Tilloy sur le pont.
     
    – Ne prêtez pas attention aux propos de notre malade. Il lui arrive de délirer, dit le médecin.
     
    – Ces temps-ci, ce genre de délire est commun à de nombreuses dames sudistes, docteur. Sans conséquence, bien sûr, dans le cas de votre passagère, de qui on ne peut douter, hélas, qu'elle soit atteinte de consomption, concéda l'officier d'un air entendu, en esquissant un sourire.
     
    Il trouva dans le regard amusé du capitaine Tilloy le reflet de complicité qu'il espérait.
     
    – Nous autres marins savons qu'avec les femmes, même en bonne santé, il faut toujours faire la part de l'exaltation romanesque, n'est-ce pas, commandant ? dit Mark.
     
    Sous les lambris du salon, Colson attendait, en compagnie de Charles Desteyrac, le visiteur américain. Le maître d'hôtel servit le jus d'ananas frais et se retira.
     
    – Monsieur l'Ingénieur Charles Desteyrac est français. Encore un neutre, commandant, précisa Lewis en présentant Charles.
     
    Ellis Follett, qui pouvait aisément s'exprimer en français, voulut savoir ce qui retenait un Français aux Bahamas.
     
    – D'abord la construction d'un pont, ensuite une belle insulaire, ancienne élève du Rutgers College, que j'ai épousée, confia Desteyrac.
     
    L'officier fit le tour de la pièce, intéressé par les aquarelles représentant des voiliers aux prises avec la tempête ou encalminés sous les tropiques, qui décoraient les panneaux entre les appliques de bronze. Il s'arrêta devant la roue de gouvernail du Royal Charles , précieuse relique, vestige du Naseby , navire qui, en 1660, avait ramené d'exil le roi Charles II d'Angleterre. Colson lui en conta l'histoire, comme, avec Tilloy, il l'avait contée à Charles lors de sa première traversée, en 1853.
     
    – Vous semblez tous, sur ce bateau, être des gens heureux, et vous allez regagner vos îles ensoleillées où règne la paix. Moi, je dois faire la guerre, non pour remporter une victoire orgueilleuse, mais pour absoudre le sud de l'Union du péché d'esclavage. C'est une macule honteuse sur notre bannière étoilée. Les propriétaires d'esclaves ne veulent pas admettre que le temps du travail servile est partout révolu. Leurs nègres, devenus travailleurs libres et salariés, rendront les mêmes services que des nègres enchaînés. Vous autres Anglais l'avez depuis longtemps compris. Il n'y a plus d'esclaves dans vos colonies et les nègres y travaillent autant, sinon plus qu'autrefois, n'est-ce pas ?
     
    – C'est exact, dit Colson, admettant le persiflage d'un homme informé.
     
    – Je suis sans haine ni vindicte, croyez-moi. Pour moi, les rebelles du Sud ne sont pas des ennemis, mais des compatriotes égarés qu'il faut fermement ramener dans le droit chemin de l'humanité, compléta Follett.
     
    – Noble tâche ! Mais essayez de l'accomplir en causant le moins de souffrances et le moins de destructions

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