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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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connaissons. Observez mieux Ottilia, écoutez-la, et vous comprendrez qu'elle vit un permanent et douloureux conflit intérieur, dont on ne peut prévoir l'issue et dans lequel aucun allié ne peut l'aider, acheva Charles, ému par ses propres paroles.
     
    Au mouvement ascendant des sourcils sur le front de Murray, l'ingénieur comprit que ses propos détonaient.
     
    – Elle m'a souvent dit que vous êtes le seul homme, à Soledad, capable de l'apprécier. Mais méfiez-vous, Charles. Cela veut dire, à mon avis, que vous êtes le seul auprès de qui elle peut passer pour autre qu'elle n'est. Sans doute pour ce qu'elle voudrait être. Je n'exclus d'ailleurs pas, chez elle, un amour de tête, dans le genre de celui de cette petite dinde de Bettina Brentano d'Arnim pour le vieux Goethe, par exemple 2 .
     
    – Si exacte, la comparaison serait flatteuse pour le vieux Desteyrac ! dit Charles en riant.
     
    Un rappel à l'ordre de Mark Tilloy les fit taire.
     
    – Il est temps d'embarquer. La chaloupe qui doit nous porter au Phoenix est à quai, cria le capitaine.
     
    – Je m'occupe de notre pippin 3 , dit Murray.
     
    Et il se dirigea vers la calèche où Varina attendait, en compagnie de Gertrude Lanterbach, le moment de quitter Charleston.
     
    Le commandant Lewis Colson accueillit, rigide et respectueux, l'épouse de Bertie III Cornfield et la fit conduire, comme l'avait demandé lord Simon, à l'appartement du château, que le maître de Soledad occupait à l'arrière du Phoenix , au cours de ses croisières.
     
    Mise au courant du scénario révélé par Tilloy à son mari, Varina se déclara prête à jouer, dès que nécessaire, le rôle de l'agonisante.
     
    – Comme ce sera amusant ! Je puis même faire la morte, vous savez ! dit-elle.
     
    – On ne vous en demande pas tant, grinça Uncle Dave, prêt lui aussi à tenir, au chevet de Winnie, un rôle qui ne lui plaisait guère.
     
    Au matin du premier jour de l'été 1862, sous un soleil radieux et par vent sûr et frais, le Phoenix leva l'ancre pour rentrer à Soledad. Par coquetterie de fin manœuvrier, Lewis Colson refusa le pilote et ordonna au maître d'équipage, habitué aux tics du commandant, de faire couvrir la mâture « par manœuvres rapides et harmonieuses ».
     
    L'appareillage fut suivi des quais par de nombreux badauds qui virent le grand navire blanc, sous pavillon de partance et Union Jack, les couleurs britanniques, s'engager, majestueux, dans le chenal principal entre le fort Johnson et l'îlot ruiné de Fort Sumter. Les marins bahamiens saluèrent au passage les artilleurs confédérés de la batterie Wagner, puis le navire longea Morris Island et Marsh Angel pour entrer dans l'Atlantique sans tenter, cette fois, d'éviter les frégates de la marine fédérale. Stationnées au large, de place en place, celles-ci avaient mission d'intercepter toutes les embarcations qui quittaient le port de Charleston.
     
    De la passerelle où il se tenait, Charles Desteyrac vit l'un des bâtiments américains se mettre en mouvement pour couper la route du Phoenix . Aussitôt, le maître d'équipage transmit aux gabiers, dans son porte-voix, l'ordre du commandant de réduire la voilure. Quand le bateau américain, canon de semonce pointé, approcha le voilier, le bosco, appliquant la consigne, ordonna, par trois modulations de son rossignol 4 , le brasseyage des voiles de manœuvre, ce qui mit le navire en panne. Satisfaits par cette manifestation de bonne volonté, les marins du blocus mirent en panne à leur tour, à une encablure du voilier. Du pont de la frégate, un officier héla le Phoenix , annonçant l'arraisonnement et l'envoi d'une chaloupe aux fins d'inspection.
     
    – Nous attendons votre commandant, fit répondre Colson par le maître d'équipage.
     
    Les Américains mirent une baleinière à la mer. Y prirent aussitôt place un officier et une douzaine de matelots en armes, ce qui irrita fort Lewis Colson.
     
    – Je ne recevrai que le commandant de la frégate, dit-il à Tilloy avant de s'enfermer dans la chambre des cartes.
     
    L'équipage du Phoenix fut immédiatement rassemblé sur le pont. Sans armes, mais ayant à portée de main, dissimulés sous la vareuse ou en poche, épissoirs d'acier, ciseaux de calfat, estropes, plombs de sonde, mailloches, tous instruments redoutables entre les mains de ceux qui ne rechignent pas à la bagarre, les matelots se rangèrent derrière Tom O'Graney et ses charpentiers

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