Retour à Soledad
possible. À Soledad, depuis trois générations, lord Simon Leonard Cornfield reçoit et héberge les esclaves fugueurs, qu'ils viennent de Cuba ou du sud de l'Union, ce qui nous vaut de solides inimitiés dans les Carolines, en Louisiane, en Virginie et à La Havane, commandant, révéla Lewis Colson.
Pendant la visite de l'officier et l'entretien qui suivit, le maître d'équipage fit porter aux marins confinés dans leur baleinière, au bas de l'échelle de commandement, un gallon de whisky et, de la part de Colson, une caisse de porto pour le carré des officiers.
Vint le moment où Ellis Follett dut quitter le Phoenix . Il le fit presque à regret, accompagné à l'échelle par l'état-major du voilier.
– Quand cette guerre sera finie, quelle qu'en soit l'issue, venez vous reposer à Soledad. Nous serons heureux de vous recevoir, dit Lewis Colson avant d'ordonner au bosco de mettre le Phoenix sous voile.
Au moment où, poussé par une bonne brise de terre, le voilier doublait le Storm , le commandant Follett ordonna un tir perdu du canon de semonce pour saluer le navire anglais.
– Il est rassurant de rencontrer des Américains du genre d'Ellis Follett. C'est encore dans la marine qu'on peut trouver, sous tous les pavillons, des gentlemen capables de faire la guerre sans haine, commenta Colson avant de donner le cap à Tilloy et de se retirer dans sa chambre.
Un peu plus tard, comme Charles s'étonnait auprès de David Kermor de ne pas avoir vu Malcolm Murray depuis l'appareillage, le médecin révéla que l'architecte avait été en proie au mal de mer et venait seulement de quitter sa chambre pour se rendre près de Varina Cornfield, « occupée à s'attifer en belle du Sud ».
– Le beau Malcolm saura faire oublier ses angoisses à la belle Winnie, dit Charles.
– Cette femme est bête comme une oie. Fort heureusement, l'Américain a pris sa diatribe avec humour, bougonna Uncle Dave.
Mark Tilloy avait prévenu Charles. Le voyage de retour serait plus long que l'aller, au cours duquel les alizés avaient favorisé une « navigation de demoiselle ». Ces vents étaient maintenant contraires et obligeaient le Phoenix à suivre une route est-sud-est pendant au moins cent milles, de manière à traverser le Gulf Stream à angle droit pour aller retrouver, largement au nord des Bahamas, les alizés qui soufflent toujours du nord-est dans l'hémisphère Nord. On prendrait alors un cap plein sud pour atteindre Soledad par le grand large, à l'est de l'archipel.
Dès le premier repas – le seul que présida le commandant Colson, car Varina Cornfield lui mettait les nerfs à vif –, l'honorable Malcolm Murray, à nouveau amariné, s'imposa comme le chevalier servant de l'épouse de Bertie III qui, à dater de cette soirée, saisit toutes les occasions de montrer l'élégance et la variété de sa garde-robe. Très à l'aise en mer, parée et embijoutée comme si chaque dîner était de gala, elle minaudait, gloussait à tout propos et même hors de propos, s'étonnait que les meubles fussent fixés aux planchers et qu'il n'y eût pas de fleurs fraîches dans ce qu'elle nommait, au grand dam des marins, sa « cabine ». Servie depuis l'enfance par des esclaves corvéables à merci et d'une obséquiosité craintive, elle s'emportait contre le steward, stigmatisant sa désinvolture et le peu d'empressement qu'il mettait à répondre à ses appels. Habituée à boire dans du cristal de Baccarat ou de Saint-Louis, elle jugeait les verres trop épais, les couverts d'argent trop lourds, grossières les porcelaines anglaises frappées de l'emblème du Phoenix . Dépourvue de tact, la femme du planteur disait à qui voulait l'entendre son regret de n'avoir pas fait porter à bord sa vaisselle plate et son argenterie chiffrée.
Les menus, plus roboratifs que fins, ne pouvaient satisfaire le palais d'une femme nourrie de bisque d'écrevisse, de pompano 5 en papillote, de cailles farcies, de cuisses de canard à la créole, et qui, friande de sucreries, se voyait privée de tarte à la noix pacane, de crème à la vanille, de cake aux fruits et de sorbets au thé.
Le capitaine Mark Tilloy, délégué à la présidence de la table en l'absence du commandant – défection que Varina Cornfield faisait remarquer avec humeur à chaque repas –, tentait en termes choisis, sans succès, de faire admettre à la passagère que les caprices de l'océan
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