Retour à Soledad
désire maintenir entre les belligérants américains, suscite la désapprobation des autorités bahamiennes », écrivait le journaliste. Il ne faisait que résumer le point de vue du nouveau gouverneur, R.W. Rawson, et de la grande majorité des Bahamiens. Indignation au demeurant assez hypocrite, car les capitaines des forceurs de blocus, le plus souvent britanniques et officiers de la Royal Navy en congé, étaient reçus chez le nouveau gouverneur, comme ils l'avaient été, depuis 1861, chez l'ancien. Et tout le monde savait, dans les West Indies, que la surprenante prospérité de Nassau restait due à la contrebande d'armes au bénéfice de la Confédération des États du Sud.
Au fil des mois, les relations entre les Bahamas et les États-Unis n'avaient cessé de se dégrader depuis qu'en mai 1863, le Margaret and Jessie , vapeur britannique qui portait à Nassau des marchandises destinées aux Sudistes, avait été bombardé à un mille des côtes d'Eleuthera par le croiseur fédéral USS Rhode Island 1 . À cela s'était ajoutée la capture par les Fédéraux, dans les Caraïbes, du navire britannique Peterhoff . Le vapeur se rendait à Matamoros, au Mexique, avec une cargaison d'armes et de munitions officiellement commandée par le gouvernement mexicain, mais en réalité destinée aux Sudistes, qui devaient en prendre livraison sur le Rio Grande, à la frontière du Texas et de la Louisiane.
Voulant ignorer que les chantiers navals de la Mersey construisaient de plus en plus de vapeurs rapides attendus par les forceurs de blocus, la presse britannique stigmatisait, après chaque incident, « ces arraisonnements qui nuisent au commerce maritime des pays neutres ». Quant au gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté, soucieux de maintenir, aux yeux des nations, la fiction de l'indifférence au conflit de l'archipel bahamien, colonie de la Couronne, il protestait par voie diplomatique.
Lord Palmerston, Premier ministre, avait même fait savoir à Washington que la Grande-Bretagne, dont Abraham Lincoln rappelait souvent qu'elle devait respecter la neutralité proclamée par la reine Victoria, ne pouvait accepter, au nom même de ce principe, que des navires de l'Union allassent s'approvisionner de force, en eau et en vivres, à Inagua Islands et Exuma Island, aux Bahamas.
Ces représentations grimacières, dont personne n'était dupe, amusaient beaucoup lord Simon. Ayant des intérêts au Nord – dans les chemins de fer, les aciéries de Pittsburgh, une banque de Boston – et au Sud – comme acheteur de coton et armateur de forceurs de blocus –, le maître de Soledad illustrait le dicton français soufflé par Charles Desteyrac : « Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. »
La guerre civile américaine, qui assurait animation et prospérité à Nassau, offrait aussi, du fait du triplement de la population de la capitale, des profits aux habitants des Out Islands. Les producteurs de légumes et de fruits d'Eleuthera et de Grand Bahama, comme les pêcheurs et les éleveurs de volaille d'Andros, devaient, chaque semaine, livrer aux détaillants de quoi nourrir les équipages des forceurs de blocus, les affairistes étrangers, les réfugiés sudistes et les touristes. Ayant l'argent facile, tout ces gens exigeaient des aliments frais et de bonne qualité.
Les Indiennes qui tressaient le sisal n'avaient jamais confectionné autant de chapeaux et de paniers étanches, spécialité héritée des Seminole. À Soledad, au village des Arawak, Maoti-Mata avait ouvert un atelier où des fillettes habiles confectionnaient, à longueur de journée, colliers, bracelets et pendeloques avec les coquillages multicolores que leurs frères ramassaient dans les baies et les branchettes de corail rose qu'ils arrachaient aux rochers immergés. Les pêcheurs d'éponges et de tortues trouvaient aussi leur compte, mais les meilleures affaires revenaient, grâce à Fish Lady, aux chasseurs de requins de Buena Vista. Un artisan de Nassau leur achetait les dents des squales qui, enchâssées dans des chatons d'or ou d'argent, devenaient, dans sa boutique de Bay Street, de véritables bijoux. Même le chantier naval de la famille Albury, à Man-O-War Cay, sur Abaco Island, qui, depuis 1840, construisait les petits voiliers bahamiens destinés au cabotage, ne pouvait satisfaire aux commandes, tant s'était développée la navigation commerciale entre les Out Islands et
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