Retour à Soledad
la vue de l'élégant accoutrement de l'enfant, un mouvement d'humeur.
– Je ne voudrais pas que l'on fît de Pacal un figurant de cirque ou un chien savant, dit-il à sa femme devant lady Lamia en visite à Valmy.
– Mon frère tient à faire de Pacal un bon cavalier, mais aussi à montrer à tous, ici, qu'il est petit-fils de lord. Alexandre Simon Pacal Desteyrac-Cornfield, puisque tel est son nom, doit, même sous les tropiques, apparaître en jeune gentleman dans la tenue commandée par les activités et circonstances. Et croyez-moi, Charles, il n'est jamais trop tôt pour inculquer certains principes vestimentaires aux enfants promis à un avenir aristocratique, répondit sèchement Fish Lady.
Elle voyait en son filleul le continuateur des Cornfield plutôt que le simple fils d'un ingénieur français. Elle trouvait indispensable que l'héritier de Soledad affirmât son rang, et cela, en dépit de son propre mode de vie insulaire. Charles prit soudain conscience de cette ambivalence.
Les enfants aimant à se déguiser, Pacal était au comble de la félicité quand, deux ou trois matins par semaine, il devait, aidé par Gertrude Lanterbach, devenue son institutrice, revêtir sa tenue d'équitation pour accompagner lord Simon. Ce jour-là, il fallait se lever tôt, car le maître de Soledad aimait parcourir son île au lever du soleil pour rendre visite, sans être annoncé, à tel métayer, aux pêcheurs d'éponges, aux terrassiers ou à son ami Maoti-Mata, le cacique des Arawak. Pour aguerrir son petit-fils, Cornfield entendait que l'on sortît par tous les temps, quitte à rentrer au manoir au grand galop quand s'annonçait un orage tropical avant-coureur d'une tempête. « Il ne faut pas avoir peur des ouragans, mon garçon. Il faut seulement se mettre à l'abri en attendant qu'ils se fatiguent. Entre juillet et novembre ils soufflent sur nos îles pour faire le ménage. Ils abattent les arbres chétifs ou malades, les vieux palmiers déplumés, rasent les mangroves sèches, nettoient les baies avec de grosses vagues, et balaient routes et chemins », disait-il. « Ils démolissent aussi des maisons », avait observé Pacal. Il avait déjà vu ses camarades de jeu, Arawak, Noirs ou métis, pleurer quand les rafales avaient emporté le toit de la case familiale.
Après la promenade, Pacal était invité à partager le breakfast du lord au cours duquel, en dévorant œufs mollets, saucisses et toasts, il posait quantité de questions à son aïeul. Ce dernier aimait à s'étendre sur l'étiquette de la cour d'Angleterre. Pacal apprit ainsi que, certains jours, à son lever, au palais de Saint James, la reine Victoria voyait défiler trois ou quatre cents personnes, dont des privilégiés autorisés à mettre genou en terre pour baiser très respectueusement la main de leur souveraine.
– Un jour, quand tu seras en âge, je t'emmènerai à Londres ou à Windsor. Tu seras présenté à Sa Très Gracieuse Majesté. Notre famille est conviée à toutes les réceptions solennelles de la cour, et tu hériteras du titre de baronet octroyé aux Cornfield en 1730. Mais il faut d'ici là te montrer digne d'assumer un héritage qui comporte encore plus de devoirs que de droits et profits.
– Vous m'emmènerez aussi à la chasse du renard ?
– Certes. Et aussi visiter nos filatures et nos élevages de moutons. Mais cela, quand le temps sera venu, répondit lord Simon.
Sans que quiconque ait eu à le lui démontrer, l'enfant sentit très vite, au contact de son grand-père, que l'équitation, tout d'abord prise comme jeu avec déguisement, était une discipline lourde de signification historique et sociale, une activité relevant plus du culte que du sport, une sorte de rite obéissant à des règles héritées des chevaleries anciennes, présentes dans ses lectures préférées. Il chevauchait au côté de lord Simon, certes, mais aussi, par la pensée, avec Ivanhoé et Quentin Durward.
L'équitation, que Simon Leonard appelait volontiers l'art équestre, relevait, pour le baronet, de la formation obligée du gentleman : dans les colonies de la Couronne comme à Mayfair, un Cornfield devait prouver à tous qu'il était différent des autres. Le mélange de sang français, anglais et arawak qui circulait dans les veines de Pacal préparait l'enfant au destin souhaité par lord Simon.
Carrure prometteuse, teint mat, cheveux lisses d'un noir de jais, noués
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