Retour à Soledad
sur la nuque en catogan, regard bleu, geste prompt, attitude résolue jusqu'à la témérité, le fils de Charles allait atteindre l'âge de raison, dans son cas bien nommé, étant donné son comportement.
Ce changement, dû à l'équitation en tenue d'adulte, même les camarades de jeu de Pacal le ressentirent. Désormais, pour ceux qui, parfois, montaient à cru et pieds nus les chevaux de trait de leurs parents, Pacal, sans qu'il s'en prévalût, fut, à leurs yeux naïfs, promu futur héritier du maître de Soledad. Tous reconnurent au propriétaire du joli cob à robe laiteuse, nommé Pantin par son maître, une prédominance aristocratique jusque-là voilée et, partant, une autorité accrue. En faisant de Pacal un jeune cavalier de tradition, revêtu d'une tenue semblable à la sienne, et en l'invitant à trotter ou galoper à son côté, en égal, sous la pluie ou le soleil, lord Simon marquait aux yeux des insulaires que son petit-fils appartenait à la caste des maîtres.
De cette situation Pacal ne tira nulle vanité mais, inconsciemment, se fit protecteur, se sentit devenir responsable des garçonnets et des fillettes avec lesquels il partageait baignades, courses dans les champs et escapades en forêt. Il se prit à veiller à la sécurité de ses camarades, même plus âgés que lui, comme s'il entendait déjà assumer ses devoirs envers les inférieurs. Lord Simon assurait que ce comportement avait toujours été et devait rester l'honneur de l'aristocratie britannique.
Edward Carver et lady Lamia auraient souhaité sceller leur union au cours d'une cérémonie discrète devant le pasteur Michael Russell, suivie d'un repas en comité réduit chez le major. Mais lord Simon ne l'entendit pas ainsi. Parce qu'il voulait honorer son plus vieil ami, mais aussi parce que les événements mondains étaient rares à Soledad, il organisa, avec la complicité d'Ottilia et d'Ounca Lou, des noces fastueuses, une grande fête dans la tradition lucayenne.
Si l'échange des anneaux se déroula au temple en présence des seuls intimes, la garden-party, dont lord Simon voulut l'accès ouvert à tous, vit affluer, autour des buffets dressés dans le parc de Cornfield Manor, une foule où toutes les couleurs de peau insulaires étaient représentées. Arawak, Taino, métis, mulâtres, Noirs, descendants d'Espagnols, de pirates, de marins britanniques ou de loyalistes, anciens esclaves cubains ou plus récents évadés des plantations de la cotton belt 4 américaine, s'associèrent aux réjouissances avec une exubérance atavique. Les Indiens de Buena Vista s'étaient déplacés, avec musiciens et danseurs, tatoués et parés comme leurs ancêtres, les premiers îliens aperçus par Christophe Colomb à Guanahani.
L'arrivée d'Edward dans la grande calèche, conduite par Poko en costume sikh et tirée par quatre chevaux blancs, fit sensation. Le major, en uniforme de la 1re risäla 5 des lanciers du Bengale, préféré à celui du 10 e régiment de hussards, sa dernière unité, n'eût pas détoné à la cour du vice-roi des Indes. Tunique bouton d'or à parements verts, culotte blanche, bottes vernissées noires, pattes d'épaules avec couronne royale sur fond rouge, insigne de son grade, turban blanc, vert et or, frappé de l'écusson des lanciers, il apparut au Français Desteyrac comme le parfait représentant de l'armée des Indes. Sur la poitrine d'Edward, la croix de Malte, blanche, suspendue à un ruban rouge, indiquait, parmi d'autres décorations, son appartenance à l'ordre du Bain.
– Ah ! My God ! Dans cette tenue, mon vieux camarade me rappelle de fameux souvenirs, Charles ! Il fallait voir Eddie, jeune lieutenant, montant son grand biluchi 6 à la tête de sa bande de Bengalis à grande moustache, charger les révoltés d'Afghanistan. Les lances de bambou de l'Inde, emmanchées sur une lame d'acier triangulaire, faisaient de grands ravages. Je l'ai vu faire reculer son cheval de cinq pas pour dégager sa lance du torse de l'Afghan qu'il avait embroché comme une saucisse ! Et au tulwar 7 il était aussi redoutable. Les sabres d'or croisés, surmontés d'une couronne, que vous voyez sur son dolman, c'est le badge de meilleur escrimeur du régiment, débita lord Simon en proie à une émotion sincère.
– Vous-même serviez dans les lanciers ? demanda Desteyrac.
– Non. J'appartenais au régiment des hussards blancs du prince de Galles, où Edward Carver
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