Retour à Soledad

New Providence. Aussi suivait-on, dans tout l'archipel, l'évolution de la guerre civile américaine dont, après avoir déploré le commencement, on commençait à redouter la fin.
     
    Comme les journaux américains apportés par les vapeurs de la Cunard et par les équipages des forceurs de blocus, The Nassau Guardian fournissait des informations qui, pour être de deux ou trois semaines en retard sur les événements relatés, permettaient aux insulaires de se faire une idée de l'évolution du conflit. Offensives et contre-offensives des deux parties étaient commentées aussi bien au Royal Victoria Hotel, à Nassau, qu'au Loyalists Club et à Cornfield Manor, à Soledad.
     
    Après les victoires de Gettysburg, de Vicksburg et de Chattanooga, les Nordistes avaient repris confiance, et quand Lincoln nomma Ulysses Grant lieutenant-général de l'armée des États-Unis, grade que seul avait obtenu George Washington, la population de l'Union accepta plus aisément la conscription et l'appel sous les drapeaux de cinq cent mille nouveaux combattants.
     
    – Désormais, les citoyens appelés au tirage au sort ne peuvent plus s'offrir un remplaçant pour trois cents dollars. Le prix du substitut doit être maintenant débattu entre les intéressés. Ainsi la cote du conscrit yankee monte de jour en jour, constata, sarcastique, lord Simon, mieux informé par ses hommes d'affaires de Boston que par la presse.
     
    Dans le même temps, Abraham Lincoln, souhaitant que les États rebelles reconquis par les Fédéraux, comme la Louisiane, le Tennessee et l'Arkansas, se rallient à la cause du Nord, proposait d'accorder l'amnistie à tous les anciens planteurs esclavagistes qui prêteraient serment d'allégeance au gouvernement de l'Union. On leur rendrait biens et droits civiques, mais non pas leurs esclaves, devenus travailleurs libres.
     
    Dans une lettre à son cousin des Bahamas, apportée par un forceur de blocus devenu bateau-poste officieux entre les Carolines et Nassau, Bertie III Cornfield, après avoir confirmé qu'il venait d'introduire une instance en divorce et ne souhaitait plus entendre parler de Varina, énumérait les dégâts causés à Charleston par les bombardements de plus en plus fréquents de la flotte fédérale.
     
    « En neuf jours, les Yankees ont tiré mille cinq cents obus sur la ville. Saint Michael's Episcopal Church a été six fois atteinte par des boulets. Nous comptions beaucoup sur le H.L. Hunley , le premier submersible construit à Mobile, en Alabama, par un armateur louisianais, Horace Lawson Hunley. Il a hélas coulé en torpillant, le 17 février, à l'entrée du port de Charleston, la frégate nordiste Housatonic . Huit volontaires de chez nous ont trouvé la mort, ainsi que cinq marins fédéraux 2 . »
     
    Comme toujours, Bertie III s'en prenait à Lincoln de qui la tête, en cette année d'élection présidentielle, restait mise à prix.
     
    « En amnistiant les planteurs des États repris et occupés par les Nordistes et en offrant aux reconquis le libre choix de leur gouvernement à condition qu'ils respectent en tous points la nouvelle Constitution des États-Unis, qui bannit l'institution particulière, le vieux malin prépare sa réélection de novembre. Il compte que les électeurs ralliés par intérêt immédiat, qui compteront comme les autres dans les consultations électorales, lui seront reconnaissants d'avoir pardonné la sécession et voteront pour lui. Il se fait des illusions ! Ceux à qui il veut imposer la Reconstruction 3 , suivant le terme employé à Washington, mettront plutôt dans les urnes le nom de Jefferson Davis pour prouver qu'ils n'ont pas changé. D'ailleurs, même les Yankees républicains reprochent à Lincoln cette manœuvre. On le trouve trop complaisant avec les propriétaires d'esclaves. En attendant, la guerre continue et, malgré quelques revers, une de nos armées marche sur Washington. Un de mes gendres est mort en héros au siège de Vicksburg ; deux de mes fils ont été blessés à Chattanooga ; un troisième a été fait prisonnier et est interné au camp d'Andersonville, en Georgie, où les mauvais traitements, le défaut d'hygiène et le manque de nourriture entraînent une forte mortalité des prisonniers. Comme nous détenons à Charleston bon nombre de soldats fédéraux, nous comptons proposer un échange de prisonniers aux Yankees. Celui-ci sera moins facile que ne le fut l'échange de votre Ottilia avec une