Retour à Soledad
marins de la flotte Cornfield tira une salve d'honneur avant que le cercueil fût descendu dans la tombe. En habit noir, entouré de tous les officiers en uniforme, lord Simon prononça une brève oraison qu'il conclut en disant : « Tout au long de nos vies, nous cherchons des raisons de croire à l'immortalité de l'âme, sans être certain qu'elle existe. Michael Hocker a maintenant pénétré le grand mystère. » Puis une jeune Indienne jeta dans la fosse une guirlande de fleurs d'orchidées, coutume des Arawak toujours respectée sur l'île.
Bientôt, tout ce qui faisait l'animation, parfois l'effervescence du petit univers insulaire, où le moindre incident, l'intrigue la plus banale, le ragot colporté d'un village à l'autre prenaient proportion d'événement, fut estompé par les informations en provenance des États-Unis.
Les forceurs de blocus rapportaient des nouvelles défavorables au Sud, que l'on commentait au Loyalists Club. En guise de cadeau de Noël, le général William Tecumseh Sherman avait offert à Lincoln la prise de Savannah, en Georgie. Son armée marchait vers Richmond, capitale confédérée. Le 16 janvier, le fort Fisher, qui défendait Wilmington et protégeait le trafic des blockade runners , était tombé aux mains des Nordistes. En fermant le dernier port du Sud encore accessible à la contrebande, les Fédéraux privaient les Sudistes d'armes et de munitions, les empêchaient aussi d'exporter leur coton, appréciable source de revenus. Les journaux confirmaient les revers subis par les Confédérés qui battaient en retraite sur le Tennessee et ne comptaient plus que sur l'armée du général Robert E. Lee pour redresser, par une contre-offensive efficace, une situation préoccupante.
Lord Simon ne manquait jamais de faire état des rapports de ses hommes d'affaires américains. Un soir de février, sur la galerie de Cornfield Manor, il annonça qu'il avait confirmation, par un courrier de Washington, de la proposition faite le 11 janvier au Sénat des États-Unis par un sénateur du Missouri, John B. Henderson. Ce dernier suggérait d'ajouter à la Constitution un 13 e amendement qui mettrait définitivement l'esclavage hors la loi 3 .
– Il était temps, observa Lewis Colson.
– Le texte est clair et tout à l'honneur de ce parlementaire américain, dit Simon Leonard avant de lire à haute voix : « Il n'existera, dans toute l'étendue des États-Unis ou dans aucun lieu soumis à leur juridiction, ni esclavage ni servitude forcée, sauf pour le châtiment d'un crime dont le coupable aura été dûment convaincu. »
– Cela suppose que le Nord gagne la guerre et que l'Union soit reconstituée, observa Lewis Colson.
– On dit que des négociations de paix vont s'engager entre les belligérants. Lincoln a chargé le secrétaire d'État, William Seward, de rencontrer le vice-président de la Confédération, Alexander Hamilton Stephens. D'après une dépêche de notre Amirauté, cela devrait se passer sur un vapeur fédéral à Hampton Roads, à l'embouchure de la Chesapeake. C'est d'ailleurs ce qui explique ma présence, révéla le lieutenant John Maitland, commandant de la frégate HMS Hawk , de l'escadre britannique de la Jamaïque, en escale à Soledad.
L'officier avait pour mission de recevoir le rapport du consul de Grande-Bretagne à Richmond et de le transporter d'urgence à l'ambassade de Grande-Bretagne à Washington, si la paix venait à être conclue.
Deux semaines plus tard, on sut que, le 31 janvier, Abraham Lincoln s'était rendu en personne à Hampton Roads pour discuter avec l'envoyé du Sud. Les entretiens n'avaient pas abouti : même si le président de l'Union envisageait personnellement une indemnisation des propriétaires d'esclaves, il n'avait offert, d'après un délégué sudiste, qu'« une reddition sans condition et une totale soumission au vainqueur ».
De fait, les espoirs de mettre une fin concertée au conflit furent déçus. Le 5 février, le cabinet de Washington avait refusé à Lincoln les quatre cent mille dollars nécessaires pour indemniser les planteurs du Sud, tandis que le gouvernement de la Confédération, jugeant humiliantes les prétentions nordistes, avait rompu les pourparlers. Entre-temps, les combats avaient repris avec un avantage certain pour le Nord.
Le 10 mars, à Soledad, on vit descendre du bateau-poste de Nassau une jeune fille vêtue de noir
Weitere Kostenlose Bücher