Retour à Soledad
lui. Je serai sa servante, m'ame. » N'est-ce pas touchant ?
– C'est même biblique : « Je suis la servante du Seigneur », pourra dire l'Indienne..., épilogua Tilloy.
Comme la durée de l'apéritif se prolongeait au-delà de l'habitude, Mark s'étonna de ne pas voir Gertrude.
Charles laissa à sa femme le désagrément d'informer leur ami.
– Elle ne dînera pas avec nous, Mark. Elle a quitté Soledad cet après-midi, révéla Ounca Lou, regrettant de se montrer si brutale.
– Elle a... quitté... Soledad ! Comment... et... pour aller... où ? bégaya Tilloy, outré.
– Par le bateau-poste de Nassau, afin de s'embarquer pour l'Europe avec lady Ottilia, précisa Charles.
– Alors, elle a repris du service ? Elle aurait pu me faire part de cette intention. Je la croyais à jamais guérie des Murray, bougonna Tilloy, décontenancé.
– Elle a laissé cette lettre pour vous, ajouta Ounca Lou.
Et elle tendit un pli fermé à l'officier. Avant que celui-ci ne l'ouvrît, elle s'apprêtait, par discrétion, à rentrer dans la maison, mais Tilloy la retint.
– Attendez, vous devez savoir ce qu'elle raconte.
À voir les maxillaires de Mark se crisper et son regard durcir, Charles et sa femme devinèrent que la lecture n'était guère plaisante. Ayant achevé, le capitaine poussa un vigoureux « God'dam' » et jeta le billet sur le guéridon, entre les verres.
– Lisez ça à haute voix, qu'Ounca Lou en profite ! ordonna-t-il à Charles.
Ainsi invité, Desteyrac lut la lettre, qui ne comportait que quelques lignes, tracées d'une écriture ferme.
« N'ayant pas assez d'amour pour vous épouser, cher ami, je quitte cette île pour n'y plus revenir. Lady Ottilia a eu la bonté de me reprendre à son service, le temps de son séjour en Angleterre. Je vous suis reconnaissante des bons moments passés en votre compagnie et de vos attentions, bienvenues dans une période difficile de ma vie. Je vous souhaite tout le bonheur que vos qualités de cœur méritent. »
– Et c'est signé d'un simple G., s'étonna Charles en rendant le billet à Tilloy.
– Oui, plutôt sec, ce billet ! Je n'ai pas de chance avec les femmes que je veux épouser, reconnaissez-le ! dit l'officier.
Il faisait évidemment allusion à Ann, la fille de Jeffrey Cornfield, qui lui avait préféré un armateur de Chicago.
– Gertrude ne dit peut-être pas tout, risqua Charles.
Il jeta un regard interrogateur à sa femme. En effet, l'Alsacienne ne faisait aucune allusion à l'enfant qu'elle était censée porter. Fallait-il dessiller Mark ? D'un discret mouvement de dénégation, Ounca Lou signifia à son mari qu'on devait taire ce que Gertrude n'avait pas jugé utile de confesser.
Le repas fut des plus morose et les Desteyrac, dans l'incapacité de combattre l'incompréhension de leur ami, ne purent que l'assurer de leur affection en des termes lénifiants. Tilloy cherchait encore une explication, voire une excuse à la conduite de l'Alsacienne, quand vint le moment de quitter Valmy.
– Bien sûr, Gertrude m'avait dit que, suite à je ne sais quelle opération subie dans l'adolescence, elle ne pourrait sans doute pas avoir d'enfant. Mais c'était sans importance pour moi. Croyez-vous que ce soit par scrupule, à cause de cette situation qu'elle a rompu ? demanda-t-il.
– Cher Mark, une femme décidée à rompre avec un homme trouve toujours le prétexte propre à lui assurer le profit moral de la rupture.
– Je le lui accorde bien volontiers, jeta Tilloy en descendant les marches de la galerie.
Les Desteyrac regardèrent le sulky s'éloigner dans la nuit claire, puis regagnèrent leur maison.
– Que penser de Gertrude, après ce que nous venons d'entendre ? demanda Ounca Lou.
– C'est une garce ! asséna Charles.
Le lendemain de cette soirée sans joie, on apprit la mort de Michael Hocker. Lord Simon voulut un cérémonial pompeux pour l'inhumation de l'enseigne, écrivain de marine, au cimetière marin de Soledad. Après l'office célébré par le pasteur Russell, sur le quai du port occidental, devant les navires sous grand pavois de deuil, le convoi derrière le char funèbre, tiré par des chevaux noirs, gravit la route du Cornfieldshire jusqu'à l'enclos où, depuis un siècle, reposaient les gens de mer qui avaient fini leur vie sur l'île. Une garde constituée par des
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