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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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coiffé ses cheveux bruns à la Sévigné, était jolie malgré sa toilette de deuil. Volontaire et pugnace, en digne descendante d'un Cornfield, elle dominait avec orgueil et sang-froid son infortune.
     
    – Ah ! Ces filles du Sud sont tout de même les plus belles ! glissa Murray au major, qui approuva.
     
    Pendant le repas auquel Myra, privée de nourriture depuis la veille, fit honneur – car même dans l'affliction, la jeunesse conserve son appétit –, tous les convives s'abstinrent, à la demande expresse de lord Simon, de poser des questions. Le maître de maison attendit que la benjamine des filles du planteur – elle venait d'avoir seize ans – reprît des couleurs et de l'assurance pour l'inviter à parler.
     
    – Si vous en avez la force et le courage, dites-nous ce qui s'est passé, demanda-t-il.
     
    Baissant les yeux, Myra prit le temps d'organiser dans son esprit le récit qu'elle devait à lord Simon. Bien qu'antiesclavagiste militant, le maître de Soledad avait toujours eu, pour elle et les siens, des façons généreuses. D'une voix assurée, l'œil sec, elle satisfit la curiosité de tous.
     
    – Columbia, la capitale de la Caroline du Sud, s'est rendue le 17 février. Mes deux beaux-frères, qui la défendaient, sont aujourd'hui, comme deux de mes frères, prisonniers des Nordistes. Le même jour, Robert Lee a fait évacuer Charleston, toute résistance étant devenue impossible. Mille quatre cents maisons et tous les bâtiments publics avaient été réduits en cendres au cours des jours précédents. Les Fédéraux se sont conduits comme des sauvages. Ils sont entrés dans les maisons qui étaient encore debout pour prendre argent, argenterie et bijoux. Quand ils ne trouvaient pas de quoi emplir leurs besaces, ils passait une corde au cou des gens, les menaçant de les pendre s'ils ne disaient pas où était caché leur avoir. Trois femmes ont été violées et une autre, qui résistait, a été tuée. La moitié des cinquante mille habitants avaient déjà quitté la ville, mais mon père ne voulait rien savoir. Il traitait les fuyards de déserteurs. Je l'entends, citant Horace, son auteur de référence, nous dire, à mes sœurs et à moi : « Nous sommes voués à la mort, nous et nos biens. » Maintenant, je conçois que cette résistance fut suicidaire. Sa dernière épouse l'avait odieusement trahi et ridiculisé. Son fils aîné était mort, les autres et ses deux gendres, prisonniers. La plantation, ruinée, allait tomber aux mains des Fédéraux. Nos nègres n'obéissaient plus, nous n'avions plus une piastre, même plus de quoi acheter un morceau de viande. Le bœuf coûtait six dollars la livre et la farine mille dollars la barrique. L'entrée en ville du 54th Massachusetts Volonteers, un régiment noir de fort mauvaise réputation, mit le comble à la panique. Ces sauvages avaient déjà violé des femmes blanches en Virginie. Nos esclaves allaient au-devant de leurs frères de race en uniforme bleu, avec de grandes démonstrations de joie. Ils ricanaient de notre stupeur. Tout ce qui avait la peau noire se muait en ennemi, en voleur, parfois en assassin. Notre père, excédé par l'arrogance des nègres et par leurs menaces, a usé ses dernières balles pour tuer deux soldats, qui pillaient notre garde-manger, et notre cocher, qui leur prêtait main-forte. Quand il n'eut plus de balles, il brisa sa carabine contre un chêne et croisa les bras dans un ultime défi. Les soldats nègres l'abattirent aussitôt. Sans l'intervention d'un officier blanc, nos esclaves, devenus fous, auraient jeté le corps de leur maître à la rivière, acheva Myra d'une voix brisée par le chagrin, mais en contenant ses larmes.
     
    – Une fin affreuse, mais honorable. Bertie, comme un vrai Cornfield, n'a jamais varié dans ses convictions. Il a vécu et il est mort pour cette institution particulière qu'il estimait fondée par la Bible pour le salut des nègres. Nous lui gardons, petite Myra, une place dans notre cœur. Orpheline, vous êtes ici chez vous aussi longtemps que vous le voudrez, dit Simon d'une voix que l'émotion rendait chevrotante.
     
    – Et maintenant, qu'en est-il de vos biens ? s'enquit le major Carver.
     
    – Quand j'ai réussi à m'embarquer pour Nassau, sur un forceur de blocus, notre plantation était déjà occupée par des officiers de l'état-major du général Sherman, car ces hommes s'installaient dans les plus belles maisons de la

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